" Tous ceux qui ont voulu transformer les autres ont mal fini: dans le sang et/ou la dictature. " J-D. Remond positionne d'entrée le rôle du médiateur aux antipodes du sauveur, du Machiavel et du négociateur génial, que sa stratégie soit des grands ou petits pas.
Biologiste et psychosociologue, praticien de longue date des approches sytémiques, homme de terrain et de synthèse, Jean-Daniel Remond fut l'un des premiers français à étudier Korzybski dans les années 60. Il a participé au fonctionnement d'un Institut de la Médiation. Dans cette activité, il travaille de concert avec Brigitte de Pons-Orr, un des membres fondateurs du Réseau des Médiateurs en Entreprise (RME).
Go Sane—Dans la société d'aujourd'hui, d'où vient le besoin de médiation ?
Jean-Daniel Remond—Disons d'abord que la médiation a de multiples champs: vie familiale, vie de quartier, problèmes de l'environnement, tensions internationales, interculturelles, difficultés entre l'entreprise et ses consommateurs, l'entreprise et ses partenaires sociaux, économiques, financiers, ...
A travers les différents statuts de sa vie personnelle, chacun, en 1998, vit la complexité des tensions, tiraillements, sollicitations,... Il/elle doit passer très rapidement d'un rôle à l'autre: subordonné, responsable, contrôleur, utilisateur (de divers claviers-écrans par ex.), interlocuteur de client, de fournisseur, auditeur, usager des transports, locataire, acheteur, bricoleur, aide-soignant, spectateur, ...
Dans une société où les liens manquent—où la famille, le village, les croyances ancestrales ne jouent plus le rôle de repères et de créateurs de liens comme autrefois—malgré toutes les sciences et les psychologies nouvelles, faute de vivre le savoir et faute de savoir-vivre, il n'est pas facile, pour l'individu de métaboliser la complexité de son quotidien de façon mouvante et souple. Elle reste trop souvent vécue comme une suite de complications. Les confrontations sont rarement perçues comme occasions de (se) construire, mais comme des heurts, voire des blessures. A la cadence des changements requis, faire les liens entre soi et soi, entre soi et les autres n'est vraiment pas si facile. Et manque alors parfois le sens, qui ne peut émerger dans nos vies qu'avec la construction à la fois de ces confrontations utiles et de ces liens.
Alors les protagonistes d'un différend ne parviennent plus à (re-)positionner ou (re-)construire leurs relations par leurs propres moyens. La médiation les aide à se donner à nouveau cette ouverture, à mettre en évidence d'autres facettes d'eux-mêmes, et à ne plus rester bloqués dans la manifestation d'un ou deux rôles prédéfinis seulement.
GS—Quelle différence y a-t-il entre médiateur, conciliateur et négociateur ?
JDR—Le négociateur agit pour l'une des parties. Et le conciliateur poursuit l'objectif de concilier: il vise à aboutir à une transaction. Contrairement peut-être à ce que croient bien des gens, le médiateur n'a d'une certaine manière pas d'objectif ! Il ne préjuge pas de la 'sortie du système', qui peut être la séparation, la construction d'une relation disposée différemment, de nouveaux objectifs, l'acceptation des limites du chemin commun possible entre les parties, ...etc.
La médiation est un processus qui permet une définition et un renforcement de l'identité des protagonistes. Une médiation réussie s'accompagne d'un changement de niveau, et, à ce niveau différent, d'une sorte de consolidation de l'identité de chacun. Elle ne focalise pas tant sur l'objet circonstanciel du débat, que sur la manière dont la relation peut évoluer, amenr chacun à se re-situer de façon plus riche, et dans quelles limites.
GS—De quelles précautions l'initiative de médiation doit-elle s'entourer ?
JDR—La phase initiale est une phase critique de la
médiation. Il importe que le médiateur n'ait pas de
volonté propre sur l'issue. Le médiateur évite
d'apparaître comme un homme seul. Il doit pouvoir s'appuyer sur
une équipe; c'est essentiel pour qu'il garde toute
l'objectivité nécessaire à sa tâche. Il s'arrange
donc pour que les contacts initiaux soient pris par les autres membres
de l'équipe. Le médiateur n'est pas un homme de pouvoir.
Il évite que l’un des partenaires ne se retrouve, sous une forme
ou une autre, sous sa domination, ou de se trouver lui-même mis
en porte-à-faux notamment par celui des protagonistes qui a fait
appel le premier à l'idée de médiation. Certains
médiateurs préfèrent ainsi n'avoir aucune
information privilégiée, hors de la présence de
l'ensemble des parties. Au bout de cette phase initiale, tous les
protagonistes sont réellement décidés à
entreprendre un processus de médiation : ils ont conscience de
parvenir à s'en sortir plutôt mal ou pas du tout, sans
ce recours, et ils acceptent que l'autre existe et continuera d'exister
avec ses différences.
Brigitte de Pons-Orr—Ce travail préalable consiste à poser les 'Fondations' de la médiation : comprendre la situation, exprimer la déontologie du réseau RME, identifier toutes les personnes concernées (il serait grave de devoir à mi-parcours ré-introduire dans le débat un acteur 'oublié'), percevoir les besoins et les enjeux, repérer les tensions, enfin obtenir l'agrément des parties sur la mise en oeuvre d'un processus de médiation.
GS—Ce travail d'équipe dans la médiation se poursuit-il dans les phases suivantes ?
BdPO—Oui, notamment sous deux aspects: le médiateur utilise le réseau RME comme groupe de compétences, chaque fois que cela lui est utile au cours de sa démarche; et puis il utilise un autre membre du réseau comme son 'coach' (à la fois appui et superviseur méthodologique) qui l'aide à prendre du recul, à être une force de proposition génératrice de solutions. La pratique d'une logique ternaire s'accommode mal d'un seul regard, même pour une personne exercée.
Avant d'en arriver à la mise en oeuvre de la médiation proprement dite, il y a une phase de 'Construction' dans laquelle les compétences de l'équipe du Réseau sont mises à contribution pour: analyser les écrits, envisager les différents niveaux d'approche, choisir les ressources pertinentes, proposer la méthode de travail, et enfin établir le contrat entre les parties et le(s) médiateur(s). Avec un accord sur ce contrat, le médiateur passe à la mise en 'oeuvre' de la médiation: négocier le détail de la démarche, organiser le dispositif de travail, conduire les entretiens, mettre en évidence les paliers d'accord, aider à construire ensemble les solutions, et formuler par écrit les engagements.
GS—Arrive-t-il que l'action du médiateur se poursuive au-delà de cette prise d'engagement ?
BdPO—Dans la phase suivante que nous appelée 'Appropriation', où la mise en oeuvre des engagements pris donne lieu à une évaluation 'interne' par les acteurs eux-mêmes; il peut y avoir une seconde prise de conscience (la première ayant eu lieu dès la mise en oeuvre de la médiation) des fruits et des limites du nouveau niveau de relations. De plus, une évaluation 'externe' sera souvent faite également par les bénéficiaires des engagements pris par les parties. Par exemple, les amis de la famille, après que la médiation ait permis de rétablir une forme adaptée de communication entre proches. Ou encore, la régulation des relations d'une entreprise avec son fournisseur peut avoir un bénéfice ressenti au niveau d'autres employés que ceux du service achats. Il est rare en effet que les tiers touchés par l'état des relations entre les acteurs, ne leur renvoient pas, après, et une nouvelle appréciation de la situation, et l'image rafraîchie d'une nouvelle identité pour chacun d'eux.
Enfin, il peut y avoir une phase de 'Démultiplication': l'expérience positive peut trouver, tant chez ses acteurs que chez ses bénéficiaires, une volonté de l'étendre aux pratiques personnelles des individus d'une part, et au niveau des groupes sociaux concernés (famille, entreprises, organisations, ...) d'autre part. Là encore, l'équipe du réseau peut s'avérer utile pour accompagner des transferts d'expérience dans d'autres domaines applicatifs.
GS—Vous avez parlé de logique ternaire.
JDR—Oui. Dans la physique des particules, avec laquelle Korzybski a bien croisé sa recherche, il y a un élément intermédiaire, vecteur de l'énergie de liaison, entre deux particules très fortement liées. De façon comparable, dans la médiation, il y a un aspect énergétique, et des lois de passage d'un état de relations à un autre état des liaisons: c’est vérifié pour la matière, mais aussi pour les changements de structure des relations entre les personnes.
Il y a plusieurs façons de voir la logique ternaire à l'oeuvre dans le processus de médiation. D'abord cet aspect changement de structure. L'énergie nécessaire se trouve dans la volonté des acteurs: vouloir sortir d'une situation 'sans issue', le médiateur étant le facteur catalyseur. Neutre sur le contenu, et tiers au débat, il rend possible et plus facile le démarrage de la 'réaction', et il en assure la poursuite jusqu'à son terme, tout en étant dans une certaine mesure un économiseur d'énergie. En sa présence, la 'réaction' est très difficilement réversible.
Et la logique du tiers inclus apparaît aussi en d'autres points clés. Ni blanc pur, ni le noir pur n'existent: ce sont les couleurs qui mettront en valeur l'un et l'autre. Il faudra donc sortir d'un monde décrit en noir et blanc seulement. Cependant, une médiation réussie n'est pas celle où l'on dit au 'blanc' de devenir un petit peu 'noir', mais au contraire, où on l'encourage à aller au bout de sa logique; et, ce faisant, à voir qu'il est aussi autre chose ...de plus coloré. Un vrai ennemi bien campé, qui va au bout de lui-même, on le respecte. Une identité grandie ne se construit pas sur une identité reniée. Une façon d'affirmer que la 'solution' n'a rien à voir avec le 'problème' initialement ressenti ! Encore une fois, l'objectif n’est pas que les gens se rabibochent, mais qu’il y ait un changement de niveau, avec renforcement de l'individualité de chacun et de son projet. Pour cela, il faut obtenir de chacun la parole la plus vraie possible.
La dynamique de créativité exige une logique du tiers inclus: pour faire des transpositions d'un univers dans l'autre (d'un acteur vers l'autre, mais aussi des 'présents' aux 'projetés'), pour prendre du recul, pour casser le système de représentation qui fait blocage, créer de nouvelles cartes sur des hypothèses nouvelles, ...
La position du médiateur elle-même comporte un aspect 'au-delà des contradictions': il doit à la fois être très présent, très attentif, et ne pas projeter sa propre problématique, ni interpréter faussement ce qu'il voit—et c'est sans doute là que le coach lui est le plus utile—en termes Korzybskiens, avoir conscience de ses propres abstractions-constructions, comme de celles des autres acteurs.
GS—Quelles contre-indications y a-t-il à une opération de médiation ?
JDR—J'en vois essentiellement deux: nous ne devons pas intervenir dans la dynamique des protagonistes, tant qu'ils sont en négociation. Nous ne pouvons le faire que lorsqu'ils sont d'accord sur le fait qu'ils ne parviennent pas à débloquer la situation par eux-mêmes. Ceci implique pour nous d'être vigilants et conscients du 'jeu' dans lequel celui qui demande la médiation tente parfois d'entraîner le médiateur. Et le deuxième cas de contre-indication est celui d'une grande vulnérabilité psychologique: lorsque l'une des personnes ne peut accepter une parole vraie, et la confrontation qui l'accompagne.
GS—Intervenez-vous toujours à chaud, en crise ?
JDR—Non. Il nous arrive assez souvent maintenant, dans des milieux et avec des partenaires qui ont de l'expérience, de faire de la 'médiation préventive'. Attention ! il ne s'agit pas d'empêcher tel ou tel conflit de surgir, ou de faire qu'il se résolve de telle ou telle manière. Ayant fait, avec nos clients, le diagnostic préalable " si on ne fait rien, il y aura de la friction sans résultat utile, ... ou bien placer nos ambitions à tel endroit ne sera pas possible ", il s'agit de porter les tensions potentielles à un autre niveau dans les échanges et l'investissement des énergies des acteurs concernés. Par exemple, dans les Relations Humaines d'une entreprise, pour une catégorie d'employés, l'intervention préalable d'un médiateur a permis de positionner les personnes, leur avenir professionnel, les points de vue de leurs managers, et les objectifs de l'entreprise, de façon à monter à un niveau ou chacune aura plus de liberté, en créant une série de nouvelles visions de leur métier et de l'entreprise. La démarche a impliqué les personnes, leurs managers et la direction de l'entreprise.
L'objectif retenu est alors de créer un 'lieu', un pont jugé nécessaire pour cristalliser un autre regard, créant des liens mais en même temps une vision plus libre de chacun. Les réalités, les échanges et les énergies mises en jeu sont alors d'un autre ordre. C'est explicitement fait pour que chacun aille davantage au bout de ce qu'il est.
GS—La Médiation peut-elle être considérée comme un métier à part entière ?
BdPO—Cela pourrait bien arriver. Mais il est évident que ceci doit s'accompagner d'une formation adéquate, et que la pratique du Réseau se révèle pertinente: il peut y avoir à la fois échange d'expérience, mise en place de formations ponctuelles ou plus structurées, pour enrichir les compétences spécifiques au médiateur, et accompagnement dans la conduite des médiations (coaching). De plus, il semble que des institutions de plus en plus nombreuses y aient recours, et certaines investissent dans ce savoir-faire: elles réalisent que cette démarche a une portée et un potentiel de résolution et de dynamisation bien supérieurs au seul savoir-faire de la négociation. Ceux qui pratiquent la médiation ont dans leur majorité d’autres activités: responsables opérationnels ou techniques dans différents domaines, industriels, sociaux, organisationnels, mais aussi pour certains, professions libérales. Si la médiation peut devenir le métier de certains, pour d’autres, il s'agira d’acquérir et de vivre, dans leur métier actuel, un esprit de médiation, ce qui suppose de mettre en place des compétences-clés vraiment spécifiques.
GS—Merci beaucoup, Brigitte et Jean-Daniel. Nous espérons vous retrouver bientôt pour reparler, avec d'autres exemples concrets, des développements et des transpositions possibles de ce savoir-faire dans d'autres domaines (voir aussi Go Sane n°1).
Pour en savoir plus: contacter B. de Pons-Orr.
Pour Marie-Christine Cabié et Luc Isebaert, la thérapie brève est un processus de changement au cours duquel le patient peut retrouver sa liberté de choisir.
Le "Modèle de Bruges", qu'ils ont créé, est profondément ancré dans le quadruple héritage de Gregory Bateson, Milton Erikson, Alfred Korzybski et Steve de Shazer, et dans la phénoménologie. Ils ont fondé les Instituts Korzybski de Paris, de Bruges et de Hollande, dont les travaux traitent essentiellement de thérapies systémiques brèves.
Nous les avons rencontrés à l'occasion d'un passage à Paris de Steve de Shazer, créateur de la démarche du Brief Family Therapy Center de Milwaukee: celle-ci focalise directement sur les éléments de solution, et non sur l'exégèse des causes supposées du 'problème'.
M-C Cabié et L. Isebaert sont psychiatres et psycho-thérapeutes, l'une à Paris, l'autre à Bruges. Ils ont en commun d'avoir fait de bonne heure une expérience positive de la thérapie systémique familiale, qui "crée une alliance thérapeutique avec les familles des patients, au lieu de mettre tout ce monde à la porte au nom du sacro-saint colloque singulier". Les démarches de thérapie dites paradoxales leur semblaient trop aléatoires dans leurs effets.
Le Modèle de Bruges
Dans leur livre (Pour une thérapie brève, Erès 1997), dont nous recommandons vivement la lecture, ils expliquent:
"Quatre questions devaient orienter notre démarche:
Pour ces deux dernières questions, Milton Erikson fut leur point de repère.
Luc Isebaert, de sa voix chaleureuse et colorée, montre la ténacité légendaire des gens du Nord:
" "Une carte n'est pas le territoire qu'elle représente" fut peut-être la phrase la plus citée de la littérature systémique de l'époque. Pourtant son auteur, A. Korzybski, restait largement inconnu. Il est vrai que la lecture de Science and Sanity, son livre principal, est une entreprise rébarbative qui n'est pas sans requérir de la part du lecteur une bonne dose de masochisme. Des concepts importants y sont pourtant élaborés, et ce n'est pas un hasard si des penseurs aussi différents que Bachelard, Bateson, Ellis, le père de la thérapie rationnelle-émotive, ou Bandler et Grinder s'en sont inspirés. "
Et, suite à sa lecture très réactive de Bateson et Korzybski, L. Isebaert explique comment il en est arrivé aux actions de re-contextualisation et à la notion de transcontextualité: (guillemets et italiques sont de nous) " La notion de réaction sémantique nous apparut essentielle pour répondre du versant 'émotionnel' du processus thérapeutique: il s'agit de l'acte fondamental dans lequel je constitue ma 'réalité', en lui donnant un sens, mon sens. Dans cet acte, tout à la fois, je réagis à la 'réalité' de mes 'émotions', je la comprends par ma 'logique', je l'appréhende pour 'opérer' sur elle, et je la symbolise par ma parole. Cette action sémantique dans laquelle je m'approprie la 'réalité', la faisant mienne tout en me libérant d'elle, cet acte désaliénant où je choisis le sens qu'elle aura pour moi, Korzybski le mit à jour avec plus de bonheur que ceux qui, comme Bergson ou de Saussure, l'avaient précédé.
Vu sous cet angle, la pathologie survient quand, en donnant son sens à ma 'réalité', je m'engage dans un sens unique. (par exemple, je ne peux plus ressentir que comme menaçants le tunnel ou l'ascenseur, ou l'autorité,...) ... Pour bien s'orienter dans la 'réalité', notre patient doit disposer d'un choix suffisant de cartes, qui lui permettent de la décoder selon différents critères. "
L'expérience thérapeutique
L'expérience thérapeutique de L. Isebaert et M-C. Cabié confirme que, si les émotions symptomatiques (angoisse, tristesse, répulsion,...) reviennent toujours dans le contexte de la pathologie, " c'est qu'elles font partie d'une réaction sémantique figée. " Celle-ci comprend une part émotionnelle, largement inconsciente. " Pourtant, il s'agit bien d'un choix. Entre différents sens possibles, c'est celui-ci que je m'impose, aussi inévitable qu'il me paraisse. Les émotions naissent 'spontanément', mais ... c'est dans le terreau de notre contexte intérieur. "
A cet endroit, M-C. Cabié et L. Isebaert font
un choix stratégique, à notre avis à la fois
intéressant et lourd de conséquences: voyant bien
que c'est à la rencontre des deux contextes intérieur
et extérieur que se situe l'émergence des émotions,
et considérant que " le contexte intérieur
n'est pas directement accessible au changement: nous le percevons
comme 'spontané', il nous apparaît comme un état
de fait, ce qui nous paralyse pour le changer ", ils
font le choix d'agir sur le contexte extérieur. Le thérapeute,
avec son client, oriente alors son attention " vers
la classe des solutions plutôt que la classe des problèmes ",
cherchant pour cela à découvrir des contextes alternatifs.
Par exemple, si il s'avère que telle personne déprimée
puisse le faire, aller se promener ou téléphoner
à une amie plutôt que rester se morfondre dans son
fauteuil, cela constitue un réel changement: même
modeste, cela manifeste un choix, qui peut commencer à
ouvrir bien des portes.
" C'est la voie de la moindre résistance. C'est à elle que nous donnons la préférence dans notre modèle. "
Notons ici que dans ce modèle de Bruges, " la tâche du thérapeute est de co-créer avec le client un contexte de créativité ".
Ce modèle retient un autre point commun à Bateson, Erikson et Korzybski: la méfiance pour les étiquettes. On y évite la caractérisation rigidifiante. Erikson " refusait toute théorisation 'psychopathologique', sous prétexte que chaque individu est unique. Il considérait les symptômes comme des aptitudes.....aussi les utilisait-il sans complexe à des fins thérapeutiques. " Paradoxalement, cela peut conduire le patient à reconnaître dans son symptôme la manifestation ... d'un choix ! ... et sans doute un des moins mauvais, dans son contexte initial.
Cette démarche s'assortit d'un profond respect: " aider les gens à utiliser leurs propres ressources intérieures, pour résoudre leurs propres problèmes, à leur propre manière. "
Dans la recherche pour élargir le choix des cartes, notons plusieurs règles:
Limites et suites
La thérapie brève n'a pas de réponse facile aux cas où le patient porte atteinte à l'intégrité ou la liberté des autres ou de lui-même (violence, drogues dures, pédophilie, ...). M-C. Cabié et L. Isebaert distinguent les fonctions de thérapeute et de protecteur: la même personne ne peut pas jouer les deux rôles en même temps. " Au pied du mur, le 'médecin', en nous, sera nécessairement d'abord protecteur de la vie. "
Après ce premier contact, nous nous posons aussi d'autres questions. Par exemple:
" A nos yeux de thérapeutes orientés sur le choix et les solutions, les patients disposent en eux-mêmes des ressources dont ils ont besoin pour résoudre leurs problèmes. " Cette prophétie nous séduit, on veut y croire. L'expérience montre sans doute que, chaque fois qu'elle se vérifie, thérapeute-client-milieu familial, 'tout le monde' y gagne. La prononcer augmente ses chances. Et elle correspond à cette manifestation biologique de l'être vivant autonome: la personne ne pose que les actes correspondants aux ressources internes (savoir-faire et énergie) dont elle aura pu/su se doter. Mais justement: où en est le patient de ce point de vue au jour de la rencontre ? Est-ce si vrai que cela, par exemple, pour la personne installée dans le déni de sa pathologie ? Si oui pourquoi consulte-t-il ? Si non, à quelle autre démarche faut-il avoir recours ?
Après le choix des cartes évoqué ci-dessus, dans un prochain article, nous verrons quelles techniques sont utilisées pour élargir les choix d'action du client, et en quoi consiste la 'transcontinuité' dans le parcours thérapeutique (un autre exemple de logique ternaire). Nous parlerons aussi des niveaux de relation thérapeute-client, et de la circularité des mandats qui peut évoluer entre eux., au bénéfice du client.
Et nous chercherons à répondre à quelques questions telles que:
N'ayant pas de tendresse particulière pour les approches mythologiques et analytiques, nous avons trouvé très intéressante cette rencontre de deux praticiens rigoureux, simples, pragmatiques et tenaces à la fois. Et nous avons aimé leur côté 'jardiniers de l'autonomie': par exemple dans la manière dont le Dr Cabié —cohérente avec l'énoncé " le patient est l'expert de sa thérapie "—responsabilise les infirmières qui travaillent avec elle dans son 'centre de crise' et les accompagne dans leur formation.
Jean-Claude DERNIS
Appelons ceci l'évaluation 1, soit E1. A partir d'une observation (le manque de pression), il y a une inférence (ceci provient des fuites sur le réseau) d'où découle un comportement (contrôler le réseau). Simple, non ?
Rentré dans mon bureau, j'examinai le problème avant de commander les contrôles en question. J'avais à l'époque commencé à étudier la sémantique générale, et l''idée' me vint d'appliquer les trois principes à ce problème. Premières phrases: " ce qui se passe n'est pas ce qu'il me dit " et " ce qu'il me dit ne recouvre pas tout ce qui se passe ". Fort bien, mais ceci ne m'avançait pas beaucoup ! Je continuai donc: " c'est donc qu'il se passe éventuellement 'autre chose' ". Oui, certes, mais ma position de principe ne me menait pas loin, et ne me donnait pas la science infuse !
Alors je pris un papier et un crayon et dessinai
quelque chose comme ceci:
Puis, encadrant ce premier croquis, j'en fis un second,
traduisant le "pas tout" en un cadre plus grand, commençant
à l'atmosphère avant les compresseurs à la
surface, et se terminant à l'atmosphère après
les moteurs au fond de la mine. Ceci donnait quelque chose comme
cela:
Le but de ce court papier n'est pas de faire un cours de physique appliquée, aussi vais-je simplifier la suite. L'évaluation E1 conduisait uniquement à "boucher des fuites"; il n'en fut pas de même pour l'évaluation que je fis par la suite et que j'appellerai E2.
Tout d'abord nous trouvons un compresseur à la surface, un compresseur "volumétrique", ce qui signifie qu'il comprime des m3 d'air puisés dans l'atmosphère. Or la pression atmosphérique variable, de même que l'humidité variable de l'air et la température faisaient qu'un m3 aspiré contenait plus ou moins d'air sec: imaginez la différence avec des pressions barométriques de 950 mb ou 1030 mb et des températures de -15°C à +30°C.
Sur la conduite étaient disposés des purgeurs, chargés d'éliminer la vapeur d'eau mélangée à l'air comprimé: en conséquence, l'air comprimé qui arrivait aux moteurs peut être grossièrement qualifié de sec.
Enfin, dans le fond de la mine, la température était relativement constante, été comme hiver. Dans ces conditions, l'énergie disponible était approximativement proportionnelle au poids d'air sec distribué au fond, et on a vu que ce poids dépendait de façon importante de la pression atmosphérique, de la température et de l'humidité de l'air.
La fréquence des ennuis me permit alors, tout en faisant améliorer l'étanchéité du réseau, de dire à mon supérieur ceci: " Notre compresseur principal est trop juste. Nous serons—comme nous le sommes déjà—amenés à mettre en service le compresseur de réserve dès que le temps sera humide, le baromètre bas, et la température élevée ".
Et effectivement les observations fines qui furent faites montrèrent la justesse de la prévision.
"Une carte n'est pas le territoire qu'elle représente": ni celle de mon supérieur, ni la mienne n'étaient "ce qui se passait". Si la carte de mon supérieur ne recouvrait pas tout ce qui se passait, la mienne non plus, bien que le fait d'avoir pris conscience de cette non-toutité (non-allness) m'avait permis d'améliorer la mienne, et donc d'agir plus efficacement."
Mais le point qui me parut de loin le plus amusant fut l'application du troisième principe: "une carte [est] auto-réflexive". Mon patron s'était contenté de peu de chose, pour de multiples 'raisons' possibles, comme la charge de travail ou la paresse, ou encore l'oubli de ses connaissances d'ingénieur, etc. Quant à moi, soyons honnêtes, j'éprouvais un malin plaisir à lui démontrer qu'il n'avait pas tout vu !
L'ouvrage Connaissances et Savoir-Faire en Entreprise publié chez Hermes sous la direction de Jean-Marc Fouet, regroupe des textes d'universitaires et d'industriels. Nous l'avons trouvé dans l'ensemble très stimulant, même si, dans leur diversité, les chapitres sont de valeur très inégale.
Nous donnons ici quelques commentaires critiques, nous réservant de revenir sur les chapitres les plus riches à nos yeux, dans l'espace plus large d'un autre article.
Par un abus de langage assez répandu, on y parle de capitalisation des connaissances, comme si le savoir-faire était "une ressource de même nature que celle du capital" (sic). La 'chosification' des connaissances à laquelle certains se livrent (chapitre 3) n'est pas étrangère à cette méprise. Si nous aussi nous réjouissons de voir que l'importance stratégique des savoir-faire rejoint et dépasse aujourd'hui, dans l'esprit de nombreux acteurs, celle du capital, leurs natures sont différentes: leurs supports, leurs modes de création, de transmission, de validation, de démultiplication, et surtout de clôture et de partage sont radicalement différents. Par ex. celui qui partage une connaissance ne la perd pas, celui qui cède son capital en perd l'usage. L'évaluation chiffrée de l'accumulation des connaissances et S-F, au plan conceptuel comme au plan pratique, en est encore à des balbutiements simplistes, voire très flous (chapitre 1), et la comptabilisation en est inexistante, tant dans les entreprises que dans les comptabilités nationales.
Le débat matérialité et/ou dématérialisation des connaissances anime une communauté où les informaticiens sont nombreux. Un ergonome (chapitre 2) souligne que, dans le travail à l'écran, une part importante de la signification est perdue, du fait de la perte du contexte; et qu'il faut des adaptations compensatoires pour corriger cela (couleurs, multi-couches modifié, etc). "En matière d'informatisation et de conception d'artefacts cognitifs, lorsqu'il s'agit de penser les conséquences de leur introduction dans les organisations et sur le travail des usagers, la thèse de la dématérialisation n'est ni vraiment juste, ni même opératoire."
En revanche, le chapitre 3: La connaissance, ses objets et ses institutions, ne résiste pas à la critique conduite avec les outils de la SG. L'auteur part a priori en guerre contre "l'impression que la connaissance est de l'ordre du symbolique, du langage et de l'abstraction immatérielle, ... conception qui n'est qu'une utopie ou un mythe." Il se donne beaucoup de mal pour affirmer que, puisque les connaissances ont toujours un contexte et un support, fût-ce le corps biologique des individus, ("la partie immergée correspond aux corps des chercheurs"), elles sont ce support: "elles sont toujours incorporées, c'est à dire matière, ... les connaissances sont des statues (!)", "la connaissance scientifique est composée de réseaux interactifs, les faits scientifiques n'existent que par un réseau de personnes, un fait est, le plus souvent au début, une opinion, ... en l'absence d'écriture, ce sont les corps et les collectifs humains qui constituent et font vivre le système de connaissances". La confusion devient extrême dans le paragraphe Les objets acteurs (sic) de la cognition: "les objets constituent ainsi à la fois des supports et des organisateurs de la connaissance". Le sujet a disparu au profit de l'objet. Il conclut: "il est illusoire de croire que la connaissance échappe à la matérialité." Je préfère boire le vin de la bouteille, pas le verre, et savoir faire la différence.
La connaissance réside dans la structure, rappelle AK, mais si la carte-symbole a bien un support matériel, la connaissance-structure n'est pas le support. Et la validité de la connaissance réside dans la correspondance de structure entre carte et territoire. On peut changer de support et garder la connaissance-structure: une recette de tarte aux pommes peut voyager sur le récit oral de l'aïeule, la chansonnette de grand-maman, le livre de recette de Gigi, la K7 audio en anglais de la jeune fille au pair, enfin une disquette puis un écran Internet en allemand. Et si le voyage n'est pas complètement neutre, c'est beaucoup plus par les changements de contextes internes et externes des ré-utilisateurs que par les caractéristiques matérielles du support.
La méthodologie de retour d'expérience chez Renault (Merex) est effectivement adaptée à la certification ISO 9000: c'est un processus essentiellement administratif, avec comme outil de travail la check-list. (chapitre 4). L'étude de gestion collective des connaissances d'un cas EDF (chapitre 8) n'est en fait qu'un simple système de gestion documentaire. Les catégorisations et typologies de connaissances et de retour d'expérience présentées ensuite (chapitres 9-10 et 12 à 15) ne nous ont pas beaucoup appris.
En revanche, les chapitres sur les Enjeux scientifiques, les expériences du TGV et d'Aérospatiale sur la capitalisation des connaissances, les Représentations pour l'homme et la machine (systèmes à base de connaissances), la représentation de différents points de vue coexistants dans les Outils de 'design groupware', et Les nouvelles technologies éducatives méritent que nous y revenions prochainement de façon plus détaillée.
(à suivre)
Jean-Claude DERNIS
[ci-contre: 'Photo de famille' du séminaire: (En haut)
Lila Mitsa, Dominique Bovey, Sylvie Maurer, Paul Coque, Nicole
Bousselet. (En bas) Henri Landier, Marie-Hélène
Ovazza, Anne Roullé, Jean-Marc Fouet, Jérôme
Legras, Claude Danglot.]
Ce séminaire a eu lieu dans les locaux d'International Mozaik, près de la gare St-Lazare. La nécessité d'utiliser un local commercial ainsi que le nombre plus faible de participants, nous conduit à fixer à 900F le prix de la participation aux futurs séminaires, de manière à ne pas engager les finances de l'association sur cette activité. Les inscriptions pour le prochain séminaire (10 au 12 avril 1998) sont ouvertes.
A la réunion du 3 octobre, Mireille de Moura nous a présenté une synthèse des méthodes de mesures de 'QI' et nous a dit 'tout le bien qu'elle en pensait', ce qui a été vite fait, finalement ! Son article est consultable sur le web.
Pour la session du 7 novembre, Jane Turner nous a présenté quelques aspects de la PNL (méta-modèle I et le méta-monstre), aspects fort inspirés de la sémantique générale, en ce qui concerne les théories sur la structure du langage, en tous cas.
Le 5 décembre, réunion à laquelle ont assisté 19 personnes (nouveau record), Claude Danglot nous a présenté son papier sur Les Colloïdes Aujourd'hui, publié dans le présent bulletin. Pour la prochaine présentation de Claude, nous envisagerons la location du Zenith.
La première réunion de 1998 aura lieu
le 9 janvier et Jérôme Legras nous présentera
à cette occasion un papier sur la "Logique
en Logique Mathématique". Vous êtes priés
de venir avec tous vos neurones et un taux d'alcoolémie
voisin de 0,0g/l (à 10-2 près)...
L'Assemblée Générale annuelle aura lieu le 6 février. Tous les membres à jour de leur cotisation y sont conviés, pour participer à l'élection du nouveau CA, entre autres.
En attendant, toute l'équipe du bulletin vous souhaite de joyeuses fêtes.
Mêmes remarques pour la liste de distribution française, sinon que c'est encore plus net comparé à un mois d'octobre exceptionnel. Moins de 15 messages ont transité en novembre sur la liste française (à droite).
Toujours est-il que cette liste voit s'inscrire de plus en plus de monde: nous étions 56 au 1er décembre 1997.