L'identification, en sémantique générale


José Klingbeil

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Suite aux discussions ayant eu lieu sur Internet, j'estime nécessaire d'apporter quelques éclaircissements sur le terme "identification" et de bien faire la distinction entre son emploi en sémantique générale et son emploi dans le langage courant.

Dans ce dernier cas, le terme "identification" est utilisé dans le sens de reconnaître (une personne, un objet, etc.). Il est bien clair que, dans ce sens, il n'y a pas de problème particulier: nous reconnaissons tous les jours les personnes et les objets qui nous entourent (à moins d'être franchement atteints par la maladie d'Alzheimer, peut-être). Nous faisons cela de manière permanente, pratiquement inconsciente, et avec une rapidité à faire enrager tous les chercheurs en Intelligence Artificielle qui travaillent à doter les ordinateurs de fonctions équivalentes. La structure de notre cerveau est, en effet, particulièrement adaptée à cette fonction fondamentale, de par son fonctionnement "en parallèle". Il est clair également que la sémantique générale ne prétend pas qu'il faille éliminer cette fonction de notre cerveau: cela nous conduirait tout droit à l'hospice avant l'heure, si tant est qu'il y en ait une.

Alors, que nous dit Korzybski lorsqu'il affirme [Les citations en français proviennent de la traduction ESGS]:

Korzybski affirme là que l'identification a un caractère systématiquement nocif et qu'elle doit être éliminée complètement dans un système quelconque (pas seulement la sémantique générale, mais également les mathématiques, la physique, etc.). La citation de la page 198 ci-dessus est très révélatrice.

Que signifie donc, pour Korzybski, le terme "identification" ? Une réponse à cette question nous est fournie par la lecture attentive de Science and Sanity.

En effet, de manière quasi systématique, Korzybski associe au mot "identification" l'expression "confusion des ordres d'abstractions". Il est difficile de citer toutes les occurrences de ces termes dans Science and Sanity—ils figurent parmi ceux qui sont les plus employés dans ce livre—mais en voici quelques exemples:

etc.

Il me paraît fondé d'affirmer que Korzybski utilise indifféremment les deux expressions "identification" et "confusion des ordres d'abstractions" et le rappelle tout au long d'un livre de plus de 800 pages. Il s'agit en effet dans un cas de nommer une perturbation sémantique ("identification"), que l'on retrouve à la base des troubles 'mentaux', et dans l'autre de décrire un processus sous-jacent, systématique, à cette perturbation ("confusion des ordres d'abstractions").

Il est possible de passer simplement d'une expression à l'autre, de la manière suivante: lorsque je confonds au niveau de l'objet (premier niveau d'abstraction) crayon1 avec crayon2, par exemple, je néglige le fait que les deux événements sont différents, que les atomes qui composent les deux crayons sont différents, etc. Autrement dit, je confonds le niveau de l'événement avec le niveau de l'objet. Il s'agit bien donc d'une confusion d'ordres d'abstractions. Cette formulation est valable pour n'importe quel niveau et par conséquent, une identification recouvre toujours une confusion d'ordres d'abstractions.

Inversement, si je confonds le niveau de l'événement avec le niveau de l'objet, à chaque fois que je ne serai pas capable de percevoir une différence entre deux objets (au premier niveau d'abstraction), je les identifierai: les deux objets seront, pour moi, les 'mêmes', je réagirai à la présentation de l'un des objets comme s'il s'agissait de l'autre: autrement dit, je ferai une identification. Là encore, cette formulation est indépendante du niveau d'abstraction.

L'utilisation du Différentiel Structurel permet de visualiser tout ceci très simplement. Je vous engage donc à y recourir.

Pour revenir au sens courant d'"identification", nous voyons qu'il y a quelques ressemblances avec le terme technique employé en sémantique générale, mais également beaucoup de différences. A tel point que je considère que la perturbation sémantique dénoncée par la sémantique générale n'est pas une déformation pathologique du sens courant mais une survivance d'une réaction sémantique infantile, qui n'a pu être complètement éliminée à l'état adulte. Pour cette raison, je recommande d'utiliser plutôt l'expression "confusion des ordres d'abstractions" plutôt qu'"identification", qui peut prêter à confusion pour des personnes n'ayant pas l'expérience de la sémantique générale.