L'identification, en sémantique
générale
José Klingbeil
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Suite aux discussions ayant eu lieu sur Internet,
j'estime nécessaire d'apporter quelques éclaircissements
sur le terme "identification" et de bien faire la distinction
entre son emploi en sémantique générale et
son emploi dans le langage courant.
Dans ce dernier cas, le terme "identification"
est utilisé dans le sens de reconnaître (une
personne, un objet, etc.). Il est bien clair que, dans ce sens,
il n'y a pas de problème particulier: nous reconnaissons
tous les jours les personnes et les objets qui nous entourent
(à moins d'être franchement atteints par la maladie
d'Alzheimer, peut-être). Nous faisons cela de manière
permanente, pratiquement inconsciente, et avec une rapidité
à faire enrager tous les chercheurs en Intelligence Artificielle
qui travaillent à doter les ordinateurs de fonctions équivalentes.
La structure de notre cerveau est, en effet, particulièrement
adaptée à cette fonction fondamentale, de par son
fonctionnement "en parallèle". Il est clair également
que la sémantique générale ne prétend
pas qu'il faille éliminer cette fonction de notre cerveau:
cela nous conduirait tout droit à l'hospice avant l'heure,
si tant est qu'il y en ait une.
Alors, que nous dit Korzybski lorsqu'il affirme
[Les citations en français proviennent de la traduction ESGS]:
- p. 196: "Comme nous l'avons vu, l''identité'
est invariablement contraire aux faits; par conséquent,
l'identification produit, et ceci par nécessité,
des r.s sans aucune valeur de survie, et que nous devons
donc considérer comme pathologiques chez l'homme
moderne.",
- p. 198: "Un système
repose sur l'élimination complète de l'identification,
ce qui s'avère bénéfique pour toutes nos
r.s, comme l'expérience vécue et l'expérimentation
le confirment.",
- p. 202: "L'expérience montre qu'une
telle identification des symboles avec les niveaux in-dicibles
fonctionne très bien chez les animaux. Chez l'homme, elle
ne fait que conduire à une mauvaise utilisation du système
nerveux humain, à des troubles sémantiques d'évaluation,
et aux systèmes animalistes instables qui prévalent
dans pratiquement tous les secteurs, avec comme résultat
un chaos général dans les affaires humaines.",
- p. 304: "Le problème-clé
est de commencer par éliminer la perturbation sémantique
appelée identification, ou confusion des ordres d'abstractions,
et les perturbations similaires de l'évaluation.",
- p. 408: "En s'entraînant, il est de
la plus haute importance d'éliminer entièrement
l'identification, qui se révèle invariablement un
facteur sémantique trompeur." ?
Korzybski affirme là que l'identification
a un caractère systématiquement nocif et
qu'elle doit être éliminée complètement
dans un système
quelconque
(pas seulement la sémantique générale, mais
également les mathématiques, la physique, etc.).
La citation de la page 198 ci-dessus est très révélatrice.
Que signifie donc, pour Korzybski, le terme "identification" ?
Une réponse à cette question nous est fournie
par la lecture attentive de Science and Sanity.
En effet, de manière quasi systématique,
Korzybski associe au mot "identification" l'expression
"confusion des ordres d'abstractions". Il est difficile
de citer toutes les occurrences de ces termes dans Science
and Sanity—ils figurent parmi ceux qui sont les plus employés
dans ce livre—mais en voici quelques exemples:
- p. 36: "...the animalistic identification
or confusion of orders of abstractions..."
- p. 105: "...confusion of orders of abstractions
resulting from identifications..."
- p. 133: "This is due, first, to a confusion
of orders of abstractions and to identification..."
- p. 170: "...is involved in identification
or the confusion of orders of abstractions..."
- p. 184: "Any identification of inherently
different levels, or confusion of orders of abstractions..."
- p. 185: "...all semantic disturbances represent
nothing else but a confusion of orders of abstractions, or identifications..."
- p. 187: "Identification, or the confusion
of orders of abstractions..."
- p. 263: "...which simply vanish when we
stop identification or the confusion of orders of abstractions..."
- p. 276: "...called 'identification', or
'the confusion of orders of abstractions' in general..."
- p. 278: "Any semantic disturbance, be it
a confusion of orders of abstractions, or identification,..."
- p. 294: "...such as identification or confusion
of orders of abstractions,..."
- p. 304: "...the semantic disturbance called
identification or the confusion of orders of abstractions..."
- p. 306: "...disturbances of evaluation called
identification or confusion of orders of abstractions..."
- p. 338: "...identifications or confusions
of orders of abstractions..."
- p. 372: "Thus the mechanism of identification
or confusion of orders of abstractions..."
- p. 396: "...based on non-identification
or the differentiation between orders of abstractions..."
- p. 399: "...due to identification or lack
of differentiation."
- p. 417: "The consciousness of abstracting
eliminates automatically identification or 'confusion of
the orders of abstractions'..."
- p. 423: "All of them involve the semantic
identification or confusions of the orders of abstractions..."
- p. 446: "... for the prevention or elimination
of identification or confusion of orders of abstractions."
- p. 448: "...feeling when identification,
or the confusion of orders of abstractions becomes particularly
dangerous."
- p. 456: "Identification, or confusion of
orders of abstractions, consists of erroneous evaluation..."
- p. 502: "...or in identification or the
confusion of orders of abstractions..."
etc.
Il me paraît fondé d'affirmer que Korzybski
utilise indifféremment les deux expressions "identification"
et "confusion des ordres d'abstractions" et le rappelle
tout au long d'un livre de plus de 800 pages. Il s'agit en effet
dans un cas de nommer une perturbation sémantique ("identification"),
que l'on retrouve à la base des troubles 'mentaux', et
dans l'autre de décrire un processus sous-jacent, systématique,
à cette perturbation ("confusion des ordres d'abstractions").
Il est possible de passer simplement d'une expression
à l'autre, de la manière suivante: lorsque je confonds
au niveau de l'objet (premier niveau d'abstraction) crayon1
avec crayon2, par exemple, je néglige le fait
que les deux événements sont différents,
que les atomes qui composent les deux crayons sont différents,
etc. Autrement dit, je confonds le niveau de l'événement
avec le niveau de l'objet. Il s'agit bien donc d'une confusion
d'ordres d'abstractions. Cette formulation est valable pour n'importe
quel niveau et par conséquent, une identification recouvre
toujours une confusion d'ordres d'abstractions.
Inversement, si je confonds le niveau de l'événement
avec le niveau de l'objet, à chaque fois que je ne serai
pas capable de percevoir une différence entre deux objets
(au premier niveau d'abstraction), je les identifierai: les deux
objets seront, pour moi, les 'mêmes', je réagirai
à la présentation de l'un des objets comme s'il
s'agissait de l'autre: autrement dit, je ferai une identification.
Là encore, cette formulation est indépendante du
niveau d'abstraction.
L'utilisation du Différentiel Structurel permet
de visualiser tout ceci très simplement. Je vous engage
donc à y recourir.
Pour revenir au sens courant d'"identification",
nous voyons qu'il y a quelques ressemblances avec le terme technique
employé en sémantique générale, mais
également beaucoup de différences. A tel point que
je considère que la perturbation sémantique dénoncée
par la sémantique générale n'est pas
une déformation pathologique du sens courant mais une survivance
d'une réaction sémantique infantile, qui n'a pu
être complètement éliminée à
l'état adulte. Pour cette raison, je recommande d'utiliser
plutôt l'expression "confusion des ordres d'abstractions"
plutôt qu'"identification", qui peut prêter
à confusion pour des personnes n'ayant pas l'expérience
de la sémantique générale.