Les Colloïdes Aujourd'hui


Claude Danglot

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Dans Science and Sanity, un chapitre entier (le IX), est consacré par Korzybski aux colloïdes ou plus exactement au "Comportement Colloïdal". Pourquoi cet intérêt pour le 'comportement colloïdal' qui peut nous surprendre puisque que les colloïdes ne constituent pas un front de recherche significatif en tant que tels ? Si l'on se place dans l'époque où ce texte a été écrit (1933), l'étude de la structure des colloïdes tirait son grand intérêt du fait qu'elle se confondait, au moins en partie, avec l'étude de la structure de la matière vivante. D'ailleurs Korzybski l'exprime clairement quant il déclare qu'il s'intéresse bien davantage à la structure 'physique' des colloïdes qu'à leurs propriétés 'chimiques' puisque, dit-il, "en 'physique', nous allons au-delà des caractéristiques évidentes pour essayer de découvrir la structure sous-jacente à ces caractéristiques" (p. 113).

En fait, même si peu de choses sont à reprendre dans les conclusions que Korzybski tire des maigres connaissances de l'époque en biologie (cela montre la puissance d'analyse apportée par la sémantique générale), il faut bien reconnaître que certains passages du chapitre IX sont devenus très discutables, voire franchement "false to fact". Dans son exposé sur les colloïdes Korzybski semble de plus avoir 'oblitéré' certaines des connaissances émergentes de l'époque, comme l'enzymologie, qui ont pris une si grande importance dans la biologie moléculaire moderne (1997).

Des prémisses discutables...

On considère aujourd'hui que c'est sur un critère de taille, d, que l'on peut caractériser l'état colloïdal (1 Å = 10-10m):
Suspension
d > 1000 Å
Etat colloïdal
10 Å < d < 1000 Å
Solution micromoléculaire
d < 10 Å

Ce critère n'est toutefois pas parfaitement satisfaisant, car toutes les particules ne sont pas forcément développées de façon comparable dans toutes les dimensions. A côté de particules plus ou moins sphériques comme les protéines globulaires, il peut en exister de très allongées comme les molécules d'ADN. A l'heure actuelle (1997) le critère de classement dans l'un des trois états de dispersion est plutôt le nombre d'atomes n constituant les particules:
Suspension
n > 109
Etat colloïdal
103 < n < 109
Solution micromoléculaire
n < 103

Lorsque Korzybski affirme: "The smallest particle visible in the microscope is still about one thousand times larger than the largest molecule" (p. 111), il n'avait pas anticipé la découverte de l'ADN puisque le chromosome d'Escherichia coli (dans les laboratoires de biologie, Escherichia coli est, entre autre, une bactérie victimes de tous les sévices imaginables, et même des autres, les sévices secrets), sous forme de molécule linéarisée, mesure environ 4.638.838 paires de bases x 3,4 Å / paire de base c'est à dire 1,58 mm de long.

Un peu plus loin, alors qu'il parle des fibres nerveuses, Korzybski écrit: "In protoplasmic structures, such as a nerve fibre, the internal protoplasm and surrounding medium are the two phases, separated by a surface film of modified plasm membrane. In both systems, the electromotive characteristics of the surfaces are determined by the character of the film." (p. 114)
Ceci est en partie faux, car la cellule maintient dynamiquement des gradients de concentrations salines entre l'intérieur (riche en potassium K+ et pauvre en sodium Na+) et l'extérieur de la fibre (pauvre en potassium K+ et riche en sodium Na+). Ce processus consomme de l'énergie et se trouve sous le contrôle d'une "pompe à sodium" et d'une ATPase Na+/K+-dépendante.

On ne peut que sourire lorsque Korzybski affirme que: "Experiments show that there are four main factors which are able to disturb the colloïdal equilibrium... (1) Physical, as, for instance, X-rays, radium, light, ultra-violet rays, cathode rays. ; (2) Mechanical, such as friction, puncture. ; (3) Chemical, such as tar, paraffin, arsenic. ; and, finally, (4) Biological, such as microbes, parasites, spermatozoa, . In man another (fifth) potent factor; namely the semantic reactions, enters, but about this factor, I shall speak later". (p. 116)
Il est clair qu'aujourd'hui on parlerait plutôt d'un effet mutagène sur l'ADN pour les facteurs "physiques" sans considérer qu'il s'agisse d'une "perturbation" du colloïde ADN. Le seul type de perturbation que puisse créer une piqûre chez un homme c'est de lui transmettre le HIV, par exemple, si l'aiguille utilisée est infectée. De même, chez les fumeurs, le goudron induit plus des effets mutagènes dans leur ADN bronchique qu'il ne perturbe leur "équilibre colloïdal". Enfin chaque micro-organisme pathogène présente une physio-pathologie spécifique. Par exemple, le HIV en détruisant les lymphocytes du sujet infecté va le rendre particulièrement sensible à des surinfections qui sont bénignes pour des sujets dont le système immunitaire est intact (infections dites "opportunistes").

Un peu plus loin, Korzybski nous explique que: "The action of all drugs is based on their effect upon the colloïdal equilibrium, without which action a drug would not be effective." (p. 116)
Cette affirmation reste sur un plan tellement vague et général qu'elle ne contient pratiquement pas d'information et qu'elle frise le ridicule si elle est retranscrite en langage courant: "Une substance doit interagir avec une organisme pour avoir une action, si elle ne le faisait pas elle n'aurait pas d'effet."

Enfin l'affirmation suivante est totalement "false to fact" pour reprendre un expression courante chez Korzybski: "Thus, ether of equal concentration will make a man unconscious, will prevent the movement of a fish, and the wriggling of a worm, or stop the activity of a plant cell, without permanently injuring the cells." (p. 116)
Bien évidemment, nous savons aujourd'hui que l'important c'est la quantité de produit utilisé par unité de poids de l'organisme traité et par unité de temps qui importe et non pas la concentration du produit, l'homme de 70 kg étant considéré comme l'individu "standard".

Autre affirmation "false to fact" rencontrée un peu plus loin: "Different regions of the organism have different charges; but, in the main, an injured, or excited, or cooler part is electro-negative (which is connected with acid formation), and the electro-positive particles rush to those parts and supply the material for whatever physiological need there may be". (pp. 116-117)
Pour paraphraser une série télévisée célèbre: "La vérité est ailleurs" !

Enfin les rayons X sont passés avec aussi peu de succès à la moulinette colloïdale: "The X-, or Röntgen-rays have been shown to accelerate 150 times the process of mutation. Muller, in his experiment with several thousand cultures of the fruit fly, has established the above ratio of induced mutations, which become hereditary. 'Cosmic rays' in the form of radiation from the earth, in tunnels, for instance, show similar results, except that mutation occurs only twice as often as under the usual laboratory conditions." (p.117)
Les scientifiques savent maintenant, en ce qui concerne les radiations X et , que l'intensité des effets mutagènes sur l'ADN est directement proportionnelle à la dose reçue (en dehors de tout système de réparation). La catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986) a montré qu'une dose importante pouvait être léthale chez l'homme en quelques heures.

Plus loin encore Korzybski écrit: "What are usually called 'vitamins' do not only represent 'special substances', but become structurally active factors; and this is why ultra-violet rays may produce results like those of some 'substance'." (p. 118)
Cette conclusion est bien évidemment "false to fact" et nous montre à quel point il faut se méfier des inférences "évidentes&", les UV ne font qu'activer au niveau de la peau la transformation chimique du 7-déhydrocholestérol (précurseur inactif) en cholécalciférol ou vitamine D3 (forme naturelle de la "vitamine D"). En aucun cas les UV ont une action "vitamine D-like".

Quatre lignes plus loin, et toujours au sujet des vitamines Korzybski écrit encore: "Some data seem to show that, in some instances, surface-active materials, such as coffee or alcohol, produce beneficial surface activities similar to the 'vitamins'." (p. 118)
De nos jours (1997), le café mais surtout l'alcool ne sont plus considérés comme 'politically correct' aux U.S.A., toutefois le tabac, lui, produit bien une substance, la nicotine, très voisine d'une vitamine, l'amide de l'acide nicotinique (vitamine PP). Malgré cela, il semblerait que le tabac soit pourtant, parmi les trois stimulants mentionnés, la substance la moins 'politically correct' aux U.S.A. (smokers hunting).

Encore plus loin, Korzybski aborde l'étude de l'épilepsie de curieuse façon: "Thus, if the serum from an epileptic patient is injected into a guinea pig, it results in an attack of convulsions, often ending in death." (p. 118)

Cela se dénomme maintenant "Choc anaphylactique" et cela n'a rien à voir de loin ni de près avec l'épilepsie. Le sérum d'un sujet sain injecté à un cobaye provoque des symptômes mortellement similaires. Aux dernières nouvelles, le système immunitaire et les anticorps des cobayes seraient suspectés: l'ESGS enquête.

Enfin, Korzybski explique aussi au sujet de la tuberculose: "This would explain also why, in some instances, psychotherapy is effective in diseases with tubercular symptoms." (p. 119)
Dans une telle situation, je me permet de recommander aux lecteurs d'opter pour un traitement classique à la rifampycine plutôt que pour une analyse.

Enfin à côté de l'importance considérable qu'il attribue aux colloïdes, Korzybski a complètement ignoré en 1933, des pans entier de la connaissance en biologie qui se révéleront tellement importants par la suite. Nous ne signalerons que deux domaines dont l'importance est devenue vitale aujourd'hui:

  1. La génétique bien illustrée par les travaux de Mandel mais surtout par ceux de l'école de Morgan avec son travail sur Drosophila melanogaster.
  2. L'enzymologie dont les bases théoriques ont été fondées dès 1913 par Leonor Michaelis et Maud Menten, avec en particulier l'équation fondamentale de l'enzymologie:
    V = VM†[S/(KM+S)] (équation de la vitesse de réaction enzymatique),
    mais également la cristallisation de l'uréase par Summer en 1926, et de la trypsine en 1929 par Northrop.

Des conclusions correctes...

A partir de toutes ces données dont un certain nombre sont "false to fact", Korzybski généralise et tire des conclusions qui sont étonnamment correctes: "When we analyse the known empirical facts from a structural point of view, we find not only the equivalence which was mentioned before, but we must, also, legitimately consider the so-called 'mental', 'emotional', and other semantic and nervous occurrences in connection with manifestations of energy which have a powerful influence on the colloidal behaviour, and so ultimately on the behaviour of our organisms as-a-whole. Under such environmental conditions, we must take into account all energies which have been discovered, semantic reactions not excluded, as all such energies have structural effect. As language is one of the expression of one of those energies, we ought to find it quite natural that the structure of language finds its reflection in the structure of the environmental conditions which are dependent on it." (p. 121)
Après la lecture de ce paragraphe il devient évident que ce qui sauve Korzybski du carton rouge c'est qu'avant de tirer les conclusions il connaît déjà les bonnes réponses puisque "quel que soit son contenu la connaissance humaine est structurale."

Actualisons nos connaissances...

Il est malgré tout utile d'actualiser nos propres connaissances, car ce n'est qu'avec des connaissances dont la structure se rapproche le plus des processus étudiés, que nous pouvons espérer interagir avec succès avec eux.

En ce qui concerne la biologie, certaines découvertes ont marqué le vingtième siècle, en particulier la découverte de l'ADN et de son rôle dans la transmission de l'information génétique d'une génération à l'autre (Avery, McLeod et McCarty, 1944). On peut imaginer l'ADN comme une bande magnétique contenant toute l'information nécessaire à la construction et au fonctionnement d'un être vivant donné. L'ARN copié à partir de l'ADN transmet cette information dans la cellule sous forme d'ARN messager qui contient l'information pour synthétiser une protéine sous forme d'ARN ribosomal entrant dans la constitution des ribosomes, véritables usines à synthétiser les protéines. La structure de l'ADN a été élucidée par Crick et Watson (1953), elle consiste en une structure hélicoïdale à deux brins, chacun des brins étant constitués d'un grand nombre de nucléotides, soit puriques (Guanosine Mono Phosphate [GMP] et Adénosine Mono Phosphate [AMP]) soit pyrimidiques (Cytosine Mono Phosphate [CMP] et Thymidine Mono Phosphate [TMP]). Il est possible de représenter symboliquement (niveau d'abstraction très élevé!) un brin d'ADN par un enchaînement de quatre caractères A, C, G ou T. Voici par exemple la représentation très symbolique d'un ADN simple brin tel qu'il pourrait figurer dans les bases de données:

GCGCGCCGTG CGCCCGAGCG ATACTGAGCG AAGCAAGTGC GTCGAGCAGT GCCCGCTTGT 60
TCCTGAAATG CCAGTAAAGC GCTGGCTGCT GAACCCCCAG CCGGAACTGA CCCCACAAGG 120
CCCTAGCGTT TGCAATGCAC CAGGTCATCA TTGACCCAGG CGTGTTCCAC CAGGCCGCTG 180
(Fig. 1: ADN de 12 paires de bases de long.)

La découverte du code génétique et des structures primaire, secondaire et tertiaire des protéines a constitué l'aube de la biologie moléculaire dans le cours des années 60. Les protéines, qu'elle soient des enzymes ou qu'elles jouent un rôle structural dans la cellule sont constituées de chaînes linéaires d'acides aminés de la série L. Dans les protéines les acides aminés, (A) qui sont des molécules amphotères (à la fois acides et basiques), sont liés entre eux par des liaisons peptidiques (ici CO-NH) selon la structure primaire:

(Fig. 2: Représentation en 3D de l'hémoglobine)
NH2-AA1-CO-NH-AA2- ... -AAn-1-CO-NH-AAn-COOH

Il est donc possible de distinguer dans une protéine une extrémité N-terminale (NH2-) et une extrémité C-terminale (-COOH). Vingt acides aminés différents se retrouvent dans les protéines: l'alanine (Ala ou A) l'arginine (Arg ou R), l'asparagine (Asn ou N), l'acide aspartique (Asp ou D), la cystéine (Cys ou C), la glutamine (Gln ou Q), l'acide glutamique (Glu ou E), la glycine (Gly ou G), l'histidine (His ou H), l'isoleucine (Ile ou I), la leucine (Leu ou L), la lysine (Lys ou K), la méthionine (Met ou M), la phénylalanine (Phe ou F), la proline (Pro ou P), la sérine (Ser ou S), la thréonine (Thr ou T), le tryptophane (Try ou W), la tyrosine (Tyr ou Y), la valine (Val ou V). Il est donc possible de représenter très symboliquement la structure primaire d'une protéine par des groupes de trois lettres comme:
MetAlaArgSerGlyValLeuTyrLeuHisValAlaGlnAlaAlaThrGlnLeu
ValAlaAlaGlyHisAsnProThrIleAspSerIleArgValAlaLeuGlyGly
...
GluSerGlnLeuSerGlnLeuAlaThrGluLysGlnLeuLeuValGlnAspAsn
AlaValLeuSerSerGlnLeuAlaGluSerArgAlaMetLysProLysThrCys

(Fig. 3: Récepteur d'oestrogène lié à une molécule d'ADN en double hélice.)

Si l'on utilise le code à une seule lettre, pour la même séquence protéique la représentation symbolique est beaucoup plus compacte. C'est bien entendu cette forme qu'utilise les bases de données:
MARSGVLYLHVAQAATQLVAAGHNPTIDSIRVALGG
...
ESQLSQLATEKQLLVQDNAVLSSQLAESRAMKPKTC

Pour ceux intéressés par une mise à jour de leur connaissance en biologie, je recommande très chaudement la fréquentation assidue du Massachusetts Institute of Technology (MIT) dont un des serveurs d'enseignement sur le Web (Experimental Study Group ou ESG) est particulièrement remarquable.