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Bulletin de la Société Européenne de Sémantique Générale
Numéro 6, 9/1998

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Editorial
Sémantique Générale et Psychothérapie (2/2)
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Responsable de la publication et Rédacteur en chef
Claude Danglot

Editorial: Carte et Territoire

"Une carte n'est pas le territoire qu'elle représente" AK

Au lendemain de Noël, une dépêche de presse tombait dans mon courrier électronique:

POTSDAM, Allemagne (AP) — Un couple d'allemands qui faisait un tour en voiture pour Noël a fini dans une rivière, apparemment parce que l'ordinateur de bord de leur voiture de luxe a oublié de mentionner qu'ils devaient attendre un ferry. Le conducteur et son passager n'ont pas été blessés dans l'accident... Le couple roulait vendredi soir lorsqu'il est arrivé à un embarcadère de ferry sur la rivière Havel à Caputh. Cette information n'avait pas été enregistrée dans le système de navigation, piloté par satellite, qu'il utilisait. Le conducteur a continué tout droit dans le noir, s'attendant à trouver un pont, et a terminé sa course dans l'eau.

La non-similitude d'une carte et du territoire qu'elle représente a encore frappé, nous rappelant ainsi les deux premiers principes de la sémantique générale: "n'est pas" et "pas tout".

Au delà de cette histoire, plutôt comique, nous pouvons nous interroger sur la précision de l'énoncé de Korzybski. Beaucoup d'auteurs se sont autorisés à le mutiler d'une façon ou d'une autre. La plus classique de ces mutilations est: "la carte n'est pas le territoire". En tant qu'énoncé d'une constatation empirique précise, cette formulation n'apporte pas grand chose au fait lui-même. Si elle ne concerne pas un fait spécifique, alors "la carte" n'est pas une formulation assez générale car toutes les cartes, quelles qu'elles soient, possèdent cette caractéristique de ne pas être le territoire.

La seconde mutilation classique est "une carte n'est pas le territoire". Ainsi la généralité de la formulation korzybskienne est conservée. Soit, mais une carte n'est pas mon trisaïeul non plus. Une formulation aussi négative, relation symétrique s'il en est, n'est pas suffisante et conduit aux aberrations anti-scientifiques 'post-modernes' et 'relativistes' que nous connaissons, niant toute utilité à la science ou la jugeant sur le même pied que des théories 'religieuses' primitives. En effet, puisque toutes les cartes ne sont pas le territoire, il est facile d'en 'déduire' que toutes les cartes se valent, la science n'étant "qu'une carte parmi d'autres".

Le "qu'elle représente" est parfaitement essentiel, car il permet de transformer une formulation négative en positive, de la manière suivante: bien qu'elle ne le soit pas, une carte peut représenter un certain territoire. La similitude de structure, et non l'impossible identité, devient un objectif. La science, dont les méthodes expérimentales nous garantissent la production de 'cartes' de plus en plus similaires au territoire qu'elles représentent, a donc une place privilégiée dans le système non-aristotélicien de Korzybski et pour la sanité de nos systèmes nerveux.

Les plus érudits en littérature korzybskienne me feront fort justement remarquer que le 'maître' lui-même a utilisé cette deuxième formulation (très rarement la première), çà et là. En effet... mais systématiquement suivi ou précédé de formulations sur la similitude de structure ou d'autres insistant sur l'aspect de représentation du territoire.

Méfions-nous donc de ces textes mutilateurs: ils révèlent bien souvent que leurs auteurs sont loin d'avoir compris ce dont ils parlent et 'vendent' des outils dont ils ne connaissent pas eux-mêmes le mode d'emploi.

José Klingbeil


Sémantique Générale et Psychothérapie (2/2)

par O. R. BONTRAGER

Le temps ne me permet pas d'approfondir beaucoup plus ces questions, comme elles le mériteraient. Je vais maintenant récapituler brièvement ce que j'ai essayé de vous dire. J'ai décrit à la hâte, et de façon fragmentaire, à partir de quelles bases la psychothérapie pourrait être abordée, selon la sémantique générale de Korzybski. Je n'ai pas tout dit à propos d'un tel abord. Ce système de psychothérapie repose sur certaines prémisses qui ont déjà été énoncées:

A. Le système proposé s'appuie sur un postulat fondamental: la vie consiste essentiellement en un équilibre dynamique continuellement maintenu entre l'organisme et son milieu. Il considère que la vie établit continuellement, à l'intérieur des organismes, des relations qui correspondent aux relations existant ou se produisant dans le milieu.

B. Le système postule en outre que l'organisme HUMAIN est une structure qui accomplit des choix: ces choix conduisent parfois à des relations internes accordées aux relations externes, d'autres fois non. A tout instant, les actes sont provoqués, dans une direction ou dans l'autre, par le flux continu de relations complexes et dynamiques existant dans le milieu, et par les opérations du système nerveux; nous choisissons à tout instant de réaliser ceci, ou non. Dans ce système, les explications déterministes de nos choix se trouvent exclues, à l'exception des limitations nettement prouvées de l'organisme lui-même. Le fait de rejeter les explications déterministes constitue un choix. Le choix seul ne peut être rejeté.

C. Autre postulat: Il n'y a pas de méthode a priori pour décider avec certitude si un choix donné accroîtra ou diminuera le degré d'accord entre les relations internes et les relations externes.

D. Ce système rejette l'hédonisme en tant que fondement de choix en vue de la survie. Il adopte délibérément la vue suivante, en fonction du milieu total HUMAIN: nous devons décider de dominer nos impulsions bestiales individuelles destinées à l'autogratification aux dépens de nos proches. Le système considère l'HUMANITE comme une dimension nouvelle de la vie, qui ne peut fonctionner et survivre si des individus ne sacrifient pas quelques préférences et avantages personnels, en vue du bien-être du groupe. Notre système considère 'l'altruisme' comme l'orientation peut-être la plus importante du groupe HUMAIN. Un des faits saillants de l'existence, aux niveaux HUMAINS, est que personne ne peut rester seul. Mises à part toutes considérations éthiques, aucun individu d'une société moderne ne peut longtemps se procurer, par ses efforts individuels, la nourriture et d'autres choses nécessaires à son existence.

E. Ce système considère que les choix individuels créent des relations nouvelles dans le milieu, qui se réfléchissent sur tous les individus, et peuvent les affecter en retour (même les individus qui ne sont pas encore nés). "L'évolution du genre humain", dit Sir Arthur Keith, "n'est pas quelque chose qui s'est passé il y a longtemps et loin de nous, mais elle se passe ici et maintenant sous nos propres yeux. L'évolution qui se produit sous nos yeux n'est pas quelque chose qui nous arrive à nous. C'est quelque chose qui se produit par nous, et qui donne son orientation à notre évolution future dans la mesure où nous connaissons comme individus ce que nous faisons."17 En fonction de ce postulat, personne ne peut échapper à sa responsabilité partielle dans le monde où il vit et où vivront ses enfants. Un individu NE peut PAS déléguer sa responsabilité personnelle dans les choix qu'il accomplit. Si quelqu'un décidait de prendre sous ce rapport une position d'irresponsabilité, il ferait néanmoins un choix entraînant des conséquences.

F. Ce système rejette les vues, largement soutenues, qui peuvent être étiquetées 'culpabilité névrotique'. Les systèmes actuellement existant prétendent que le client réagit par des sentiments de culpabilité aux actions qu'il a accomplies, ou aux réalisations imaginées, et que de tels sentiments sont névrotiques. Une telle mise à part de certains sentiments, et leur étiquetage comme névrotiques, je considère cela comme tout-à-fait arbitraire. Il se trouve que nos structures nous rendent capables d'éprouver des sentiments. Des sentiments de culpabilité, des sentiments de honte et de remords sont simplement quelques-uns des sentiments que nous sommes capables de vivre parce que nous ne sommes pas seuls. De tels sentiments trouvent des fondements très solides dans les faits de l'histoire de chaque être humain. Il apparaît au sein de la vie, dans le groupe humain, une période infantile très prolongée: celle-ci s'accompagna chez les parents de la naissance de sentiments et d'actions non exclusivement tournés vers soi-même. Quand la famille humaine, avec ses rapports définis, vint à exister, des obligations réciproques de comportement durent naître entre ses divers membres. La façon de se comporter d'un individu ne pouvait plus se modeler seulement sur ses propres désirs de manière autocentrique, mais devait se soumettre dans une large mesure au bien-être de la famille. Et s'il juge sa propre conduite, l'individu doit désormais en comparer les caractéristiques avec plusieurs facteurs existant hors de lui-même. Du moment que deux êtres humains existent, aucun ne peut plus toujours suivre son propre chemin.

Pour maintenir les états intérieurs en correspondance avec les relations complexes constituant le milieu HUMAIN, il faut des choix volontaires, et ceux-ci se font sur une base différente de la base hédoniste (cela fait plaisir aux 'sens'). Expliquer le paiement d'impôts pour des asiles mentaux en fonction d'un principe hédoniste ("cela me fait du bien") est à considérer comme un acte arbitraire, a priori, de classification. Les classifications ne sont pas engendrées spontanément. Soyons sincères: payer des impôts NE me fait PAS plaisir. Je n'aime pas les impôts. En payer ne me procure pas de gratification directe ou indirecte. En fait, je choisis cette forme particulière de désagrément pour éviter ce que je regarderais comme des conséquences bien plus désagréables, si les portes de tous les asiles mentaux et de tous les pénitenciers étaient brusquement ouvertes dans le pays. Je choisis délibérément cette forme de désagrément afin de conserver les grandes routes, les écoles, les postes, la fourniture d'eau et d'électricité, et d'autres entreprises sociales nécessaires pour échapper à une mort qui devient certaine quand ces facilités ne sont pas entretenues. Je peux accomplir ce choix parce que ma structure biologique me permet de me représenter les conséquences qui s'ensuivraient certainement en cas de non-choix. Je peux créer une abstraction d'ordre supérieur (opération créative, verbale), qui place finalement chaque être humain dans la même catégorie verbale que moi. Le fait que nous savons créer de telles représentations ouvre l'abîme qui sépare à jamais les êtres humains de la brute. L'animal opère à des niveaux de 'plaisir sensoriel'. Le groupe humain ne pourrait guère survivre sur la base du plaisir, même s'il pouvait l'essayer. En 1962, en science, les données des sens sont démodées.

Dans le cours de son développement, chacun de nous a intériorisé certaines règles de conduite tenant compte du fait qu'il existe d'autres êtres humains. Nous héritons de structures biologiques rendant possible d'intérioriser des règles de conduite. Les processus sélectifs de l'évolution ont préservé de telles structures, qui ont satisfait au test de survie jusqu'à maintenant. Je ne connais point d'étude sérieuse des affaires humaines soutenant que nous aurions une société si tous ses membres ne vivaient pas selon certaines règles d'action. Nous ne pouvons rester seuls; de telles règles sont impérieuses. Il se trouve justement que nous héritons de types de structures qui éprouvent culpabilité, honte, peur des conséquences, remords, etc., quand s'est trouvée violée une règle de la civilisation qui nous a éduqués depuis notre enfance. Ces sentiments, je les considère simplement comme des avertissements adressés à nous, d'avoir à conformer nos actions aux conditions de civilisation qui nous ont gardés et nous gardent en vie. Ceci n'exclut pas qu'une civilisation puisse enseigner à sa jeunesse des règles de conduite contradictoires, et, par là, nocives, mais ceci est une autre histoire. Pas plus que ce point de vue n'ôte de valeur à l'individu. Tout ceci, Alexander Pope l'a dit mieux que nous, il y a longtemps, dans son Essai sur l'Homme:

Ainsi mène l'Amour de Soi-même, tout juste et tout injuste,
Vers la puissance, l'ambition, le lucre, le plaisir d'un seul homme:
Ce même Amour de Soi-même, au fond, devient la cause
De tout ce qui le limite, Gouvernement et Lois.
Car, si quelqu'un aime ce que d'autres aiment,
A quoi sert une volonté, si bien des volontés s'y opposent?
Comment garderait-il, endormi ou éveillé,
Ce qu'un plus faible peut surprendre, un plus fort prendre?
Sa sécurité doit restreindre sa liberté:
Tous s'unissent pour garder ce que chacun désire avoir.
Contraints à la vertu par l'Autodéfense,
Même les Rois ont appris la justice et la bienveillance
L'Amour de Soi a quitté le chemin d'abord suivi,
Et a trouvé le bien privé dans le bien public.

Du point de vue de la survie, éliminer des sentiments de culpabilité aurait aussi peu de signification que d'éliminer le mal de dents. Ce qui DOIT être éliminé, si la race humaine veut survivre, c'est, dans chaque civilisation, l'enseignement de certitudes qui ne sont pas adaptées au milieu HUMAIN en 1962. Une fois cela fait, des sentiments de culpabilité deviendront très utiles; ils auront en réalité une valeur pour la survie. L'individu qui cause du tort à quelqu'un ou qui se développe lui-même aux dépens d'un autre, devrait éprouver de la culpabilité, et il en EPROUVERA, quand un grand nombre de gens parviendront à la stature HUMAINE.

J'ai observé que des sentiments de culpabilité à propos de sentiments de culpabilité accompagnent bien plus fréquemment d'autres sentiments névrotiques que des sentiments de culpabilité du premier ordre. Les effets de tels sentiments du second ordre peuvent être, et sont souvent, particulièrement dévastateurs. En effet, du moment que nous éprouvons de la culpabilité à propos de sentiments qui, autant que je sache, sont universellement éprouvés partout où nous trouvons des êtres humains — ces sentiments ayant eux-mêmes eu un rôle dans la survie —, nous nous stimulons nous-mêmes, littéralement, à fuir loin de ce qui ne peut être fui. Il se trouve que des sentiments du premier ordre, culpabilité incluse, sont des événements intérieurs. Se séparer de tels sentiments nécessiterait vraiment de se séparer de soi-même, exploit impossible à accomplir.

Le fait de considérer nos verbalisations, nos 'pensées', etc., à propos des sentiments de premier ordre comme plus importantes que ces sentiments eux-mêmes, doit être regardé comme un ordre d'évaluation inversé de façon pathologique, avec des conséquences certainement nuisibles. Sur ce point, vous pouvez lire par exemple, le texte de Douglas M. Kelley sur les névroses de la Deuxième Guerre Mondiale.22

Les milieux linguistiques où nous vivons en 1962 encouragent de telles évaluations inversées. Le jargon freudien est en effet devenu une religion. La télévision, le cinéma et les journaux décrivent tous les jours des cures psychiatriques miraculeuses. A profusion des romans font appel au mythe vieux et vénérable d'Oedipe pour rendre compte de toutes les manifestations névrotiques. Ces moyens de communication linguistiques dépeignent obstinément les sentiments de culpabilité comme névrotiques. Le type 'normal' de comportement, suivant la mythologie freudienne, consiste pour le fiston à vouloir dormir avec sa maman, et pour Suzette à vouloir 'coucher' avec papa. Comment le savons-nous? C'est que Freud l'a dit. Comment lui, il le savait? Il le savait parce que quelques anciens auteurs ont deviné correctement, dans le mythe d'Oedipe, les ressorts principaux de toutes névroses. Disons seulement à ce propos qu'une tentative pour bâtir en 1962 une science moderne sur des prémisses issues d'un mythe préhistorique serait accueillie sans délai par des huées.

Le monstrueux système démonologique que Freud a fabriqué rabaisse l'homme à des niveaux animaliens. Nous cherchons en vain dans son système des discussions au sujet de l'intégrité, de l'amour, de la responsabilité, ou de n'importe laquelle des caractéristiques HUMAINES évoluées que nous appelons 'spirituelles'. Avec son invention de l'IN-conscient, il exclut, en fait, toute possibilité de comportement rationnel. Si nous croyons sérieusement à une telle absurdité, que dirons-nous alors si un client met en doute la rationalité du thérapeute? Nous qui faisons notre affaire de la psychothérapie, dirons-nous à nos clients que nous sommes des dieux et que nous agissons dans un système différent de lois?

Si nous admettons les prémisses freudiennes d'un comportement IN-conscient, dominé par des forces démonologiques, alors vraiment, il s'ensuivrait que la culpabilité ne peut rien signifier. Dans ce cas, la culpabilité serait à regarder comme une manifestation névrotique. Les prémisses conduisent où elles conduisent. Puisque personne ne veut être névrosé, il est très compréhensible que nous trouvions, dans notre climat linguistique-sémantique, bien des individus pour nier les sentiments de culpabilité, ou pour s'efforcer de les effacer, ou pour éprouver à leur sujet de la culpabilité, ce qui ne va pas sans conséquences sérieuses.

Une fois que nous avons changé de prémisses afin d'être en accord avec la dimension HUMAINE de la vie, cela devient une toute autre affaire de s'occuper de sentiments de culpabilité. Il s'agit alors d'examiner les choix que le client accomplit, les certitudes par rapport auxquelles il agit, et de l'aider, en bien des cas, à trouver les voies menant à la réparation des conséquences nuisibles pour autrui de ses actes.

Vus largement, les buts de la psychothérapie efficace peuvent se voir de la façon suivante:

A. Conduire le client à découvrir qu'en cherchant à entretenir des relations à l'intérieur de lui-même, il accomplit des choix qui NE correspondent PAS aux relations dans le milieu.

B. Conduire le client à découvrir des situations où il crée des représentations non conformes au milieu.

C. Conduire le client à découvrir des situations où il essaye de mettre en accord des jeux contradictoires de représentations.

D. Conduire le client à découvrir les choix qu'il peut effectuer, conduisant à des relations internes en accord avec les relations externes.

En parcourant les étapes qui lui permettront d'atteindre les buts ci-dessus, le client doit être RÉ-éduqué de façon à recevoir les intuitions suivantes:

A. La nature des rapports dans le milieu global où il vit. Les rapports les plus significatifs pour la conduite HUMAINE sont les rapports avec autrui. La transformation de la brute en homme a modifié radicalement les normes d'adaptation à la survie. HERRICK l'a sagement remarqué: "L'humanité ne pouvait atteindre la plénitude de son âge adulte tant que l'homme n'était pas devenu un animal sociable. Cela signifie que l'individu — et non son suzerain, ni son gouvernement, ni aucun pouvoir d'une 'civilisation' impersonnelle agissant comme force coercitive —, que la personne, de son propre chef, prend en mains le gouvernement de soi-même et celui de ses rapports de groupe." L'individu meurt; ses enfants continuent. Ni l'individu ni ses enfants ne survivront, si les actions individuelles et collectives ne créent pas des milieux qui nous soutiennent tous. L'expansion d'un individu NE doit PAS se faire aux dépens de ses compagnons. La nature du milieu HUMAIN l'exige: la coopération et l'aide mutuelle — et non l'antagonisme — sont le prix qu'il faut payer, en fin de compte, pour la survie de l'individu, même si ce prix inclut (il le faut) quelque sacrifice sur les aises personnelles.

B. Au cours de sa ré-éducation, le client doit devenir conscient de ce qu'il vit, de ce qu'il veut acquérir en luttant, de ce qu'il revendique, de son comportement, de ce qu'il exprime d'une manière ou d'une autre. Il doit devenir conscient des relations au sein desquelles il agit, aussi bien que des relations qu'il ignore, à la suite de prémisses (souvent non formulées clairement) qu'il tient pour admises. Il doit devenir conscient de la répercussion de ses actes sur autrui. Il doit constamment se demander à lui-même: dans quel état serais-je si tous mes voisins agissaient dans les mêmes conditions que moi?

C. Afin d'aider à établir des relations internes en correspondance avec les relations externes, la ré-éducation devrait le conduire à formuler clairement ce que la situation qu'il vit 'exige' de lui: a/ comment il la voit; b/ comment l'expriment d'autres qui ont 'pouvoir' sur lui; et c/ comment d'autres la voient, d'un point de vue moins engagé.

D. Il doit faire face franchement à la question: quels mensonges suis-je en train de me conter? Un organisme ne réagit jamais AU milieu. Il réagit à ses propres représentations créatives ou faussées formées à partir du milieu. "Les hommes sont tourmentés par les opinions qu'ils se font des choses, plus que par les choses elles-mêmes." (James Harvey Robinson, La Pensée dans l'Action, p.3). L'action des mécanismes organismiques d'abstraction et, chez les HUMAINS, la capacité créatrice de former des représentations et des REPRESENTATIONS DEFECTUEUSES toujours fondées sur ce que nous avons abstrait et que nous projetons dans le monde, tout cela agit de manière à nous donner des représentations du milieu TOTAL invariablement fausses au plus haut point. Quand nous agissons COMME SI nos représentations étaient vraiment les relations REELLES qui nous entourent, nous affirmons, nous agissons, nous exprimons un mensonge entraînant des séparations d'avec la vie, de la 'souffrance', etc., à de nombreux niveaux. Certaines des affirmations du client contredisent les comportements fondamentaux pour la survie des HUMAINS (du point de vue d'autrui comme de son propre point de vue), tels qu'ils sont imposés par cette réalité: l'homme ne peut rester seul; et ces affirmations-là ont des effets dans le milieu proche qui font retour sur le client et accroissent sa séparation.

D'une manière plus spécifique, le client doit devenir conscient des formes particulières de représentations dont il se sert automatiquement, telles que les suivantes:

1. Considère-t-il les représentations qu'il se fait des événements comme si elles étaient les événements eux-mêmes? Par exemple, considère-t-il ses projections d'événements dans l'avenir comme si elles étaient les événements réels dans l'avenir? Considère-t-il sa mémoire des événements passés comme si elle était les événements réels? Bref, confond-il les ordres d'abstraction?

2. Est-ce qu'il se décrit lui-même, ou décrit certains événements dans son milieu comme statiques — donc non semblables à la structure dynamique qui caractérise le milieu total?

3. Ses représentations affirment-elles qu'il tient compte de TOUS les facteurs dans les situations de la vie?

4. Bloque-t-il la naissance d'ordres supérieurs d'abstractions, c'est-à-dire décide-t-il que plus rien ne peut se dire à propos de ce qu'il a pensé ou dit?

5. Rapporte-t-il ses généralisations d'ordres supérieurs à des abstractions non-verbales, d'ordre inférieur, en guise de test de justesse?

6. A-t-il l'habitude de considérer une inférence comme une description?

7. Est-il conscient de fabriquer, sur lui-même et sur son entourage, des représentations dont la forme dépend des caractéristiques qu'il a notées?

8. En créant ses représentations, est-il assez flexible pour dégager des caractéristiques qu'il a d'abord laissé échapper, et former de nouvelles représentations?

9. Est-ce que ses représentations indiquent qu'il tient compte de relations?

10. Ses représentations indiquent-elles qu'il procède en fonction d'un système démonologique qui le dégage de la responsabilité de ses choix? Par exemple, reproche-t-il ses difficultés à des fictions comme son 'esprit', son 'inconscient', ses 'émotions', ses 'talents', etc.?

11. Est-ce que ses représentations suggèrent une division artificielle, arbitraire de l'univers en deux valeurs et deux seulement? Par exemple, fonde-t-il ses choix sur la prémisse erronée que toutes ses décisions doivent mener à des conséquences ou absolument désagréables ou parfaitement agréables?

12. Ses représentations affirment-elles l'identité de phénomènes différents?

13. Ses représentations indiquent-elles les niveaux où il ne parvient pas à former des abstractions d'ordre supérieur? Dans les formes vivantes, le groupe HUMAIN se distingue nettement des animaux parce que les HUMAINS savent engendrer des ordres d'abstractions sans limite. Un être humain qui ne parvient pas d'habitude à former les abstractions d'ordre supérieur, incluant lui-même et tout autre être humain, agit à des niveaux animaliens, et se trouvera à coup sûr lui-même en difficulté.

14. Ses représentations montrent-elles la conscience du fait qu'il participe à la création du milieu avec lequel il est en interaction? Il est tout aussi important que ses représentations le montrent conscient de ce qu'il NE crée PAS TOUTES ses difficultés.

15. Ses représentations suggèrent-elles qu'il cherche à atteindre des certitudes ou des absolus comme solutions à ses difficultés?

16. Ses représentations montrent-elles qu'il agit d'habitude en fonction de prémisses non formulées, et dont la structure n'est pas similaire à celle du milieu dynamique où il vit?

17. Etc.

  1. La RÉ-éducation devrait amener le client à découvrir les points où ses représentations faussées produisent des états intérieurs ne correspondant pas aux états extérieurs. Par-dessus toute autre considération, cela l'aidera à SE reconnaître clairement responsable de ses choix, responsable de la part de fardeau qu'IL doit porter afin que ses proches ne la portent pas pour lui. Il doit se rendre compte que pour pouvoir être sincère avec lui-même, il ne peut tromper les proches, s'il a de l'estime pour lui-même. Etre sincère avec eux, c'est être sincère avec lui-même. Cela signifie qu'il crée une abstraction d'ordre supérieur, et qu'elle englobe toute l'humanité, y compris lui-même.
  2. A la fin, le processus de ré-éducation amènera le client à faire tour à tour des représentations et des choix davantage compatibles avec les circonstances présentes dans le milieu total qui l'entoure. Plus que n'importe quoi d'autre, il doit regarder le fait que le monde N'EST PAS son huître. Du moment que deux êtres humains sont dans le monde, AUCUN d'eux ne peut toujours suivre sa propre voie.

Le système de psychothérapie que nous proposons ici insiste sur ce que le client est en train de faire maintenant. Il admet que les êtres humains, SACHANT choisir et CHOISISSANT, participent à la conception des conséquences de leurs choix. Il rejette les mécanismes démonologiques où de mystérieuses forces poussent par-derrière, hors de toute commande HUMAINE, au sein des cavernes profondes, obscures de l''inconscient'. De telles théories démonologiques dégagent le client de toute responsabilité. Ce système, de plus, le met en face du fait inévitable que la vie NE donne PAS de possibilité d'éviter totalement les désagréments. Au contraire, il postule qu'il faut sacrifier, dans le groupe HUMAIN, UNE PART d'agrément personnel, en vue de la survie et du bien-être de nous-mêmes et des autres. C'est une nécessité rigoureuse, et peu importe si nous sommes à l'aise ou non.

Ce système de psychothérapie rejette la prémisse que les aspects signifiants de la vie HUMAINE sont des événements diaboliques, animaliens, survenant dans quelques cavernes sombres et souterraines d'un esprit mythique, 'inconscient', tandis que les aspects observables de la vie sont simplement comme le sucre-glace du gâteau. Au contraire, ce système regarde le groupe HUMAIN comme celui où s'est accrue la conscience du milieu, où s'est accrue la conscience des conséquences de nos choix, caractérisant le comportement des individus et nous distinguant nettement des animaux. Le rejet des prémisses biologiques animaliennes, contraires à la nature HUMAINE, rend inutile de s'engager dans des opérations de fouilles historiques en guise de technique psychothérapique. De surcroît, ce rejet a pour effet de conduire le client à former des représentations de lui-même en tant qu'être HUMAIN, et NON en tant qu'animal, ce dont il s'ensuit souvent une 'guérison' incroyable. L'observation soigneuse de ce que le client fait TOUT DE SUITE permet souvent d'inférer la nature de ce qui a pu lui arriver dans le passé, bien que ce ne soit plus nécessaire.

Par-dessus tout, le système postule l'importance des représentations semblables de structure aux facteurs non-verbaux qui doivent être pris en compte, en opposition à des représentations de désirs infantiles,—et l'importance de prendre une responsabilité PERSONNELLE, plutôt que de dépendre d'un confesseur psychiatrique. Le système travaille à faire voir que PERSONNE ne peut nous absoudre des conséquences de nos actes, et à donner pleine conscience que nous ne sommes pas seuls au monde. Il oeuvre à la réalisation de la condition HUMAINE dans laquelle nous nous trouvons tous à présent — condition si bien exprimée par Marian Martin dans un article récent de la Saturday Review23, intitulé "Quelle devrait être la taille d'un abri?":

La ville de Tucson où je vis est entourée par 18 installations de missiles Titan. Inutile de le dire, les Tucsoniens éprouvent un vif intérêt pour les abris de défense civile contre les retombées radioactives. En ce qui me concerne, j'ai résolu le problème de la taille qu'il faut à un abri, et celui de son équipement.

L'abri doit être assez grand pour convenir à environ trois milliards de gens. Tous ont droit égal à l'existence, et donc, tous doivent être abrités. L'abri doit être muni de la nourriture, de l'habillement, du logement, des moyens médicaux et des moyens éducatifs appropriés, pour trois milliards d'êtres. Il est aussi essentiel d'avoir une grande quantité de compréhension, d'humilité, de sympathie, de courage et d'amour. Cet abri offrira aussi soleil, air pur et non contaminé, des plantes et des animaux, des forêts, de l'eau douce et des océans, une voûte étoilée la nuit, et bien d'autres merveilles à partager par les occupants.

Je souhaite dans mon coeur que ce soit cet abri que nous choisissions de construire. Je sais que c'est le seul qui apportera la sécurité à chacun d'entre nous.

BIBLIOGRAPHIE

17. HERRICK C.J.: The evolution of human nature (L'évolution de la nature humaine) Harper and Brothers, Torchbooks (NEW-YORK, 1961).

18. BIRNEY R.C., TEEVAN R.C.: Instinct (L'instinct). — Van Nostrand Insight Books (PRINCETON, 1961).

19. SHERRINGTON Charles (Sir): The Integrative action of the nervous system (L'action intégrative du système nerveux) — Yale University Press (NEW HAVEN, 1947).

20. SOLOMON P., KUBZANSKY P.E., LEIDERMAN P.H., MENDELSON J.H., TRUMBULL R., WEXLER D.: Sensory deprivation (La déficience sensorielle) Harvard University Press (CAMBRIDGE, 1961).

21. LA PIERE R.: The freudian ethic (L'éthique freudienne) — Duell, Sloan and Pearce —(NEW-YORK, 1959).

22. KELLEY D.: The use of general semantics and Korzybskian principles as an extensional method of group psychotherapy in traumatic neuroses (L'utilisation de la Sémantique Générale et des principes de KORZYBSKI comme méthode extensionnelle de psychothérapie de groupe dans les névroses traumatiques) — The Journal of Nervous and Mental Disease, 114, 3 (1951).

23. MARTIN Marian: How big should a shelter be? (Quelle devrait être la taille d'un abri?) — The Reader's Digest, Février 1962 (cité par la Saturday Review).


Espace Lecture

Manhood of Humanity
par Alfred Korzybski, ESGS 1998.

Plus de soixante-quinze ans s'étant écoulés depuis qu'Alfred Korzybski a publié, en 1921, la première édition de Manhood of Humanity, ce texte est tombé dans le domaine public et devient accessible à la reproduction sans droits. À cette occasion, l'ESGS a publié Manhood of Humanity sur ses pages web et vous invite vivement à vous procurer cette version électronique, et à la lire avec avidité.

Manhood of Humanity est le premier livre écrit par A.K. Il y relate sa découverte fondamentale du time-binding qui différencie définitivement l'homme des autres êtres vivants. Cette découverte d'un processus spécifiquement humain est un événement capital dans l'histoire de l'Humanité qu'elle éclaire sous un jour radicalement nouveau.

Dans son introduction ("Method and process of approach to a new concept of life") Korzybski démonte le mécanisme de survenue des "cataclysmes sociaux" (insurrections, révolutions, guerres). Il montre qu'ils sont liés a des réajustements rendus nécessaires par des vitesses d'évolution différentes des diverses composantes de la vie sociale. Il distingue d'une part, ce qu'il appelle les "pseudo-sciences" sociales comme l'éthique, la jurisprudence, l'économie, la politique, etc. qui évoluent à une vitesse représentée par une simple progression arithmétique (2, 4, 6, 8, 10, 12, 14, etc.), les "vraies-sciences" d'autre part, comme la technologie, les inventions, la physique, etc. dont la vitesse d'évolution suit une progression géométrique (2, 4, 8, 16, 32, 64,128, etc.). Ces progressions inégales des différentes composantes sociales conduisent obligatoirement à des tensions, puis à des réajustements violents, qui permettent aux "idées sociales" de se recaler sur les "réalités sociales".

Dans le chapitre suivant ("Childhood of Humanity") montre, qu'avec la Première Guerre Mondiale, se termine l'enfance de l'humanité, période caractérisée par une méconnaissance profonde des valeurs la caractérisant. Les sciences exactes, dont le rôle primordial est d'anticiper le futur du domaine étudié, remettent en cause par leur important développement le monopole des anciennes classes dirigeantes sur la connaissance (théologie dogmatique, droit, éthique, scholastique), véritable source de leur pouvoir. Korzybski montre que cet avènement se traduit par le passage d'opinions individuelles et personnelles, caractéristiques de la période pré-scientifique, aux opinions similaires et collectives, caractéristiques de la période scientifique.

Avec le chapitre suivant ("Classes of Life"), nous abordons le coeur de l'ouvrage. Korzybski y définit les différentes classes de vie en montrant que si les minéraux ne peuvent pas être considérés comme vivants, même sous forme de cristaux capables de croître, les plantes, par contre, avec leur capacité de croître liée à l'énergie chimique ("chemistry-binder") correspondent a une classe de vie "unidimensionnelle". Les animaux quant à eux, avec leurs capacités de croître et de se déplacer dans l''espace' ("space-binder") appartiennent à une classe de vie "bidimensionnelle", alors que l'homme définit à lui seul une classe de vie "tridimensionnelle" avec ses capacités de croître, de se déplacer dans l''espace' et d'être ancré dans le 'temps' ("time-binder").

Dans "What is man", point culminant de son discours, Korzybski montre que depuis la nuit des temps personne n'a pu répondre à la question : "Qu'est-ce que l'homme ?", sans fournir de réponse inexacte, soit de type biologique rabaissant l'homme au niveau de l'animal, soit de nature biologico-mystique où à la 'part biologique' s'ajoute une dose de 'sur-naturel' irrationnelle ('l'âme'). Dans les deux cas, cette incapacité à rester en adéquation avec les lois naturelles a conduit à l'introduction d''idées' et d'enseignements erronés responsables d'un retard considérable dans le progrès humain. L'exemple type est celui de Galilée obligé de renier sa certitude scientifique d'une terre sphérique tournant sur elle-même, au profit de la terre plate des autorités morales et religieuses de l'époque. Ce retard a eu pour effet de limiter le développement de la capacité de production de l'Humanité liée à son time-binding et par la même de limiter sa croissance. En effet l'homme possède la capacité naturelle de time-binding: grâce à ses muscles, mais surtout à son cerveau, il peut produire, à partir des ressources brutes fournies par la nature (matière première et énergie), de la 'richesse' qu'il transmet ensuite à ses descendants (le "travail vivant des morts"). Encore faudrait-il que cette capacité soit optimisée par un système social qui reconnaisse l'homme pour ce qu'il ëestí et non pour l'animal ou le mythe qu'il n'est pas. En étudiant la loi naturelle de la création de richesse par l'homme, Korzybski a montré que la quantité de progrès réalisé par une génération donnée pouvait s'exprimer par le produit PR ou P représente ce que cette génération a reçu de la précédente et ou R désigne le facteur d'amélioration apporté par cette génération. Le progrès réalisé par la génération suivante sera donc égal à (PR)R soit PR2 si l'on suppose en première approximation que R est constant de génération en génération. Ainsi la série suivante montre la variation du progrès humain dans le domaine choisi:

PR, PR2, PR3, PR4,..., PRT, PRT+1,...;

Le gain total réalisé par T générations vaut donc:

PR+PR2+PR3+PR4+...+PRT;

ou encore:

Gain total = (PRT-P)

Ce qui correspond à un accroissement exponentiel. A partir de cette simple constatation, il devient clair que le monde ne pourra bénéficier d'un progrès ininterrompu que lorsque les soi-disant sciences sociales régulant la vie comme l'éthique, le droit, la philosophie, l'économie, la religion, la politique, etc. seront enfin rendues 'scientifiques', dans leur esprit et leurs methodes, afin de progresser au même rythme exponentiel que le progrès humain ('produit' du time-binding). Cela suppose bien évidemment une modification assez fondamentale des rapports sociaux qui ne peut se faire qu'en permettant l'accès sans restriction de l'ensemble des humains au produit du time-binding.

Dans le chapitre "Wealth" Korzybski montre que les notions de richesse que nous utilisons couramment encore aujourd'hui (capital et argent), appartiennent à l'enfance de l'Humanité et qu'elles correspondent à une conception infantile de la richesse. Elles ont par ailleurs été directement responsables de la grande dépression de 1929. La civilisation en tant que processus correspond en fait au time-binding et le progrès correspond au fait que chaque génération ajoute sa propre contribution à la richesse matérielle et spirituelle dont elle a héritée. Correctement comprise, la richesse correspond aux fruits et au produit du time-binding humain. Les animaux ne produisent pas de richesse, seul l'homme et uniquement l'homme peut produire de la richesse. Parmi la richesse produite, Korzybski distingue deux composantes : l'une est matérielle, la seconde est connaissance. Pour la première il utilise le terme de "valeur d'usage potentielle", par analogie avec l'énergie liée à la position d'un objet immobile, pour la seconde il propose "valeur d'usage cinétique", à cause de son état dynamique permanent. Il résulte de tout cela que la richesse du monde à un moment donné correspond essentiellement au travail accumulé des générations passées, le "travail vivant des morts".

Dans le chapitre "Capitalistic Era", Korzybski montre que la civilisation humaine est la création des hommes par leur capacité de time-binding. De plus, tout ce qui présente une valeur quelconque dans notre société résulte essentiellement du travail de nombreuses générations maintenant disparues. Chacun des objets que nous utilisons quotidiennement, comme une cuillère ou un couteau métalliques, sont en fait des produits du travail de nombreuses générations incluant celles qui ont découvert le métal, la manière de l'utiliser et l'utilité de la cuillère. C'est ici que se pose une question essentielle selon Korzybski. Etant donné que la richesse du monde résulte essentiellement du travail des générations passées, à qui appartient-elle de plein droit ? Il est impossible d'échapper à cette question. L'existence d'un monopole sur les immenses trésors produits par le travail des générations passées est-elle une évolution normale et naturelle, ou s'agit-il d'une situation artificielle imposée à l'ensemble de l'Humanité par un petit nombre d'individus ? Montrant que les réponses des tenants du capitalisme et ceux du socialisme sont totalement inadaptées puisqu'elles ignorent totalement la dimension non-animaliste et non-mystique de l'homme. Il voit comme seule réponse finale à cette question le développement de la connaissance de la nature humaine, et de l'éducation scientifique enfin appliquée à l'ensemble affaires humaines.

Dans le chapitre "Survival of the fittest", Korzybski aborde le problème de la survie du mieux adapté, en montrant que cette formulation de la théorie Darwinienne adaptée aux plantes et aux animaux ne peut s'appliquer à l'homme qu'en le rabaissant au rang d'animal, principe souvent mis en oeuvre lors d'une exploitation criminelle et d'affairisme. Pour Korzybski, ce rabaissement de l'homme au rang de l'animal est responsable de l'importante dégradation morale observée dans notre société. Ce n'est qu'en rendant a l'homme sa pleine dimension, humaine, de time-binder que, sa morale et ses idéaux élevés, lui seront rendus naturellement.

Dans "Elements of Power", Korzybski aborde l'analyse des causes de la Première Guerre Mondiale. Il les identifie comme des contradictions économiques prenant la forme de conquête de nouveaux marchés devenus indispensables à une économie sur-productrice liée au développement d'une puissance industrielle gigantesque. Ce gigantisme fut atteint, à la suite du développement de la philosophie de Hegel, par l'utilisation systématique de méthodes scientifiques pour développer la puissance nationale économique et militaire, ainsi que la mobilisation massive de tout le peuple derrière un objectif commun : le développement d'une "Grande Allemagne". Ces objectifs égoïstement nationalistes ne pouvaient qu'entrer en conflit avec le développement du bien être du reste de l'Humanité. Korzybski termine ce chapitre par une vision prophétique dans laquelle il explique que si l'Humanité n'est pas capable d'analyser de manière scientifique et dépassionnée les raisons de la Première Guerre Mondiale, elle devra se préparer à affronter rapidement d'autres calamités similaires.

Dans "Manhood of Humanity", Korzybski montre qu'il peut exister trois façons pour un homme de se comporter comme un fou. La première consiste à ignorer le passer et à vagabonder dans la vie comme un animal, il s'agit de la "folie vagabonde". La seconde consiste à encenser outre mesure le passé de façon à conforter le présent, elle correspond à la "folie idolâtre". La troisième enfin consister à dénigrer systématiquement le passé afin de mieux remettre en cause le présent. Il s'agit de la "folie méprisante". A l'opposé de ces trois folies, la voie de la sagesse consiste à apprécier le passé au plus juste en utilisant une analyse aussi scientifique que possible, car seule la compréhension du passé peut permettre une juste appréciation du présent.

En conclusion, ce livre de Korzybski constitue un apport fondamental à la compréhension scientifique de la nature et de l'histoire de l'Humanité, même si l'analyse qu'il fait des problèmes humains est très approximative et perfectible. Vous devez lire "Manhood of Humanity"—votre perception de l'homme et votre vision de l'Humanité en seront définitivement bouleversées.

Claude Danglot


Activités


Pas de réunion au mois d'Août, du fait du manque de participants.

Le 4 septembre, Claude Danglot nous a fait un exposé sur la quantification du goût, accompagné de travaux pratiques sur l'eau, avec des démonstrations étonnantes.

Faute de participants, le séminaire d'octobre est annulé. Le prochain est prévu pour juin 99.


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