Le jour où j'ai promis à Jean-Claude et à José de rédiger cet article sur les sectes, je n'avais pas imaginé que la première difficulté que je rencontrerais serait de définir le mot "secte", que je me trouverais en face d'une carte qui renvoie à une multiplicité de territoires. Une première constatation, le flou qui entoure le mot "secte" provient de l'absence de définition juridique, sociologique, criminologique et psychiatrique.
Pour approcher le monde des sectes, il me semble préalablement nécessaire de définir des critères observables qui pourront permettre d'inférer si tel ou tel mouvement, qu'il soit religieux, politique, philosophique, société initiatique, etc. penche du côté sectaire ou non-sectaire.
A notre époque (1997), il existe toutes sortes de mouvements politiques, religieux et sociaux, dont l'objectif, clairement énoncé ou non, comporte plusieurs dénominateurs communs : imposer aux autres leur modèle du monde, leurs croyances et leurs prémisses, contrôler un groupe toujours plus grand d'adhérents, faire du prosélytisme, jouer sur les peurs des gens et faire de l'irrationnel, ériger en valeur suprême leur fond de commerce, ouvrant ainsi la porte à tous les excès, du mysticisme au fascisme, de la mégalomanie au sectarisme.
Il est à observer que tout au long de l'histoire de l'humanité, des hommes ont tenté, souvent avec succès, de manipuler les peurs, réelles ou imaginaires, des autres, pour obtenir le pouvoir et le contrôle. Aujourd'hui, compte tenu des moyens élaborés de connaissance du psychisme des individus, associés aux méthodes de contrôle social et aux technologies avancées de la communication, le danger de réussite de ces manipulations a considérablement augmenté.
La période que nous vivons est propice au stress psychologique et suscite chez un grand nombre de personnes angoisse du présent et inquiétudes quant à l'avenir., Le chômage, les guerres dans les pays voisins, la pollution, l'oppression sociale, religieuse ou politique, sont autant de facteurs favorisant la montée de peurs existentielles chez certains, et donc la création d'un climat propice à la recrudescence de mouvements se prétendant inspirés et détenteurs de solutions pour l'avenir. C'est dans ces périodes qu'il est le plus facile de fasciner des individus affaiblis et angoissés et qu'un chef charismatique peut se positionner en offrant des directions et des orientations, par nature invérifiables, car appartenant à un passé réel ou mythique et en guise de projet une critique systématique des structures existantes.
L'organisation de ces mouvements est variée, allant du "collège invisible" cherchant à faire circuler ses idées et quelques affects, au groupe de pression pour influencer la culture et aux groupes politiques visant la prise de pouvoir. Les sectes s'inscrivent dans cette mouvance en proposant un monde meilleur, une "nouvelle vision" de soi, de l'humanité, de l'histoire, du cosmos. Elles promettent le commencement (ou le retour) d'un nouvel âge, d'une nouvelle ère, visant au travers de cette promesse la possession de 'l'âme' et le porte-monnaie de leurs émules.
Quoi qu'il en soit, ces divers mouvements me semblent avoir des points communs, entre autres celui de simplifier les problèmes et d'offrir des solutions à l'emporte-pièce. Il me semble tous avoir comme objectif de décourager la pensée et le questionnement individuel au bénéfice d'imageries et de doctrines toutes faites, propres à flatter les croyances nichées dans le passé lointain de l'humanité et énoncés pour susciter des impressions bien plus que pour révéler l'essentiel. Faute de faire l'objet de vérifications critiques, de tels mouvements peuvent devenir de sérieux obstacles aux libertés de pensée, de recherche personnelle et d'expression, que ces mouvements soient politiques, initiatiques ou religieux, qu'ils soient philosophiques, psychanalytiques ou humanistes, nous sommes aujourd'hui confronté à un littéralisme militant armé d'oppositions factices "en noir et blanc", avatar de la logique aristotélicienne.
Mais qu'est-ce qui différencie ces différents groupes ? Lequel peut-on nommer "secte" ? Qu'est-ce qui différencie un mouvement religieux, une société initiatique, philosophique, un mouvement issu du New-Age, de joyeux fantaisistes comme les Adorateurs du Nombril (omphalopsistes), de l'Oignon, de l'Ange Cyclamen et une secte ?
Mon intention est donc ici de donner un certain nombre de critères, qui, réunis, permettent d'inférer avec un haut coefficient de probabilité que le mouvement étudié s'inscrit dans une mouvance sectaire.
Jean-Marie Abgrall, dans "La Mécanique des Sectes", nous donne une définition des sectes que je reprends ici.
"Une secte est une structure de groupe fermée, fondée sur la manipulation mentale, organisée autour d'un maître (gourou) et d'une idéologie.
Elle vise à établir une différence qualitative entre les adhérents de la structure et les non-adhérents et son but caché ou avoué est l'enrichissement du groupe ou partie de celui-ci.
Elle s'établit et se développe grâce à l'exploitation des manipulés par les manipulateurs.
Son action sur l'individu est susceptible d'entraîner des désordres physiques ou psychiques, réversibles ou non."
L'Association de Défense de la Famille et de l'Individu propose, pour reconnaître une secte, les cinq critères suivants :
J'ai de mon côté défini les critères suivants qui se recoupent fortement avec les précédents :
Quels que soient leurs doctrines et leurs buts, les sectes ont besoin d'un 'Maître', d'un chef autour duquel elles se structurent et qui leur sert de guide dans leur course vers un idéal illusoire.
Le 'Maître' simplifie à l'excès des problèmes existentiels complexes, sans aucune analyse épistémologique, les adeptes ne demandent pas ce que le 'Maître' sait, ni comment il le sait, "il sait".
La manière la plus courante d'accentuer les peurs est la désignation d'un ennemi humain ou idéologique. N'importe qui ne fait pas l'affaire. La 'source du Mal' doit favoriser et entretenir un sentiment particulier sans lequel un groupe fermé d'adeptes ne peut se constituer, ni se maintenir. Une secte à une 'frontière' qui 'enferme' le groupe, empêche une extension anarchique, maintient le groupe d'adeptes dans un stress permanent et rend difficile son éclatement ou sa dissolution.
La secte induit la dépendance des adeptes en renforçant leurs frustrations, en accentuant leurs peurs et leur insécurité, en généralisant celles-ci pour que les adeptes se mobilisent contre l'ennemi désigné.
Le 'Maître' invite les adeptes à se dissoudre dans un "groupe-adepte", en l'orientant vers un futur utopique, sur cette terre ou dans l'éternité.
Les adeptes réalisent rarement la tyrannie spirituelle à laquelle ils sont soumis, ni les restrictions de leur liberté. La réflexion ne fait pas partie du rôle de l'adepte et de ce fait elle ne vient pas éclairer le caractère illusoire de la doctrine.
Dans le discours du 'Maître' et dans la doctrine de la secte, la réalité présente et les valeurs du passé, sauf des valeurs appartenant à un passé mythique ou incontrôlable, sont déniées au profit de promesses pour l'avenir, les adeptes ne demandant qu'à croire en un avenir idéal qui accentue leur mépris pour le monde actuel. Le 'Maître' corrompant le présent au profit de la doctrine qu'il professe, proclame un mythe de l'histoire, puisque sa vision est sensée révéler le sens véritable de celle-ci.
Les fausses prophéties, les échecs répétés n'atténuent en rien l'illusion des adeptes, ni n'enlève au but annoncé son caractère illusoire.
Dans la secte, les adeptes deviennent esclaves de la structure pyramidale du pouvoir. Ils ne sont plus que des instruments dociles du 'petit maître' qui les précède immédiatement dans la hiérarchie. Dans un cadre de ce genre, chacun tend à adopter la position dominant/dominé face à un inférieur, et la position dominé/dominant face à un supérieur. La vie de la secte se réduit à l'exécution aveugle des ordres. Le Bien ne se définit plus que par l'accord de la structure et de l'autorité qui le perpétue. Seuls ceux qui se reconnaissent dans l'obéissance inconditionnelle au Maître et à la doctrine méritent d'être promus.
Un des buts non avoués de la secte, mais essentiel pour sa survie est la négation de l'individu au profit de la structure et la répression de toute déviance.
La secte au travers de l'endoctrinement idéologique, exige une obéissance absolue que les adeptes acceptent avec dévotion. Leur désir est d'être englobé dans un tout qui les dépasse, ils sont avides d'appartenance. Ils endurent beaucoup pour préserver la sécurité de cette symbiose, car la doctrine et le 'Maître' exigent le sacrifice de soi. En acceptant cette appartenance, l'adepte s'identifie au maître, à la doctrine. Il n'est plus un individu et il l'accepte. Il est la secte.
En résumé et en guise de conclusion, une autre définition de la secte, donnée lors d'un congrès scientifique pluridisciplinaire qui s'est tenu dans le Wisconsin en 1985, sur le thème "Les Sectes et les Groupes Coercitifs":
"Une secte coercitive est un mouvement totalitaire se présentant sous la forme d'une association, d'un groupe religieux, culturel ou autre qui exige de ses membres un dévouement total et une dévotion au groupe, plus qu'à toute autre personne. Ce mouvement emploie des techniques de manipulation, de persuasion et de contrôle destinées à remplir les objectifs du leader du groupe et qui provoquent chez les adeptes une dépendance totale au groupe, au détriment de l'entourage familial et social."
Bernard H.
A vous de comparer...
L'ESGS, fidèle à l'histoire de la Sémantique Générale, réunit les caractéristiques suivantes: respect de l'individu et de l'autonomie des personnes, structures associatives collégiales classiques et ouvertes, tant à l'IGS créé par A. Korzybski, qu'à l'ESGS, absence de but lucratif, pas de 'maître' ni d'héritier du 'maître', modestie des budgets et des moyens, comptes-rendus de nos activités publiés sur Internet, épistémologie clairement établie et ouverte aux remises en cause, affirmation du caractère provisoire des 'vérités' d'un moment de la science, affirmation du caractère subjectif et contextuel des 'certitudes', libre accès à nos réunions, encouragement de la pensée critique et liberté de contestation tant dans nos réunions que sur les forums Internet, très large acceptation de différents systèmes de valeur, nécessité reconnue des approches trans-disciplinaires, etc...
Le Bureau de l'ESGS
Pour ceux qui désirent en savoir plus, voici une petite bibliographie sommaire :
Pour ceux qui ont accès à Internet, dans la liste des liens de l'ESGS figure une page fort bien construite concernant les sectes et leurs activités. A partir de cette page, vous pouvez également accéder au Rapport de la Commission Parlementaire sur les sectes.
La revue Science a consacré son numéro de mars 97 aux développements récents de la neurobiologie de la cognition, ce qui, pour ceux qui lisent ou liront les écrits de A. Korzybski, est du plus haut intérêt. Après avoir passé en revue les deux premiers articles (cf Go Sane! n°1) je voudrais vous donner un aperçu du troisième article, écrit par Nancy Andreasen, consacré aux balbutiements et aux racines de la "psychopathologie scientifique".
Le terme même de "psychopathologie scientifique" sous-entend qu'il existerait une psychopathologie non-scientifique, fondée sur des bases discutables, des vérités révélées non vérifiées, et dont la valeur prédictive serait approximativement égale à zéro. C'est exactement l'idée que Nancy Andreasen développe dans cet article avec la manière dont l'étude de la psychopathologie peut être développée pour devenir scientifique.
De façon surprenante, c'est Sigmund Freud1895 qui a le premier appelé de ses voeux la constitution d'une psychologie scientifique, à l'époque où il s'intéressait à la psycho-pharmacologie. Il aura fallu 100 ans pour que ce voeu pieux de l'époque finisse tout doucement par se réaliser en cette fin de vingtième siècle.
Pour l'auteur, l'objectif à long terme de la psychopathologie scientifique c'est la découverte des mécanismes neuraux qui sous-tendent les processus cognitifs normaux. En deux mots "Quelles sont les modifications cellulaires et moléculaires qui surviennent dans mon cerveau lorsque j'essaie de comprendre cet obscur article de Go Sane! ?". Peut être qu'il ne se passe absolument rien dans votre cerveau quand vous lisez Go Sane!, qui sait ? C'est en tout cas ce qu'omettaient de vérifier les psychopathologues d'antan.
Cette démarche présuppose que 'l'esprit' est une expression de 'l'activité cérébrale' et que les deux sont séparables pour les besoins de l'analyse et de la discussion, alors qu'en réalité ils ne le sont pas, de même que le 'métabolisme hépatique' n'est pas distinct de la 'cellule hépatique' dont il fait intimement partie. En fait, les phénomènes 'mentaux' sont générés par le cerveau, mais en retour, l'expérience 'mentale' affecte aussi le cerveau, comme le démontrent les nombreux exemples de l'influence de l'environnement sur la plasticité cérébrale. Les maladies 'mentales' représentent donc une anomalie d'interaction entre l'esprit/cerveau et le monde environnant. Elles sont des maladies de la 'psyché' qui réside dans une région du 'soma' qui est le cerveau.
Le foisonnement des disciplines
'L'esprit' et le cerveau pouvant être étudiés comme s'ils étaient des entités séparées, il en est résulté l'apparition d'une multitude de disciplines différentes pour les étudier, disposant chacune de méthodologie et de langage différents. Le défi du développement d'une psychopathologie scientifique réside donc dans la grande unification (comme en physique avec les 'forces') de tout ce fatras de disciplines indisciplinées. La psychologie cognitive a étudié 'l'esprit' en le fractionnant arbitrairement en 'mémoire', 'langage', 'attention', etc. L'étude du cerveau a été réalisée par la neuropsychologie qui a utilisé l'étude des lésions cérébrales, par la neuroanatomie et la neurobiologie qui ont cartographié le développement neural, sa connectivité et sa fonctionnalité chez les animaux. La limite entre ces différentes disciplines est devenue progressivement de plus en plus floue, aboutissant à la création de la neurobiologie de la cognition, la cognition représentant dans son acception large toutes les activités de 'l'esprit' incluant les 'émotions', la perception et la régulation du comportement.
La psychiatrie contemporaine1997 étudie les maladies cérébro-mentales comme des troubles de 'l'esprit', originaires du cerveau. C'est une discipline qui intègre les informations en provenance de toutes ces disciplines afin de développer des modèles expliquant les mécanismes de dysfonctionnement de la cognition chez les malades, à partir des données obtenue chez l'esprit/cerveau 'normal'.
Il n'existe aujourd'hui aucun marqueur biologique des maladies 'mentales' (comme la séropositivité au HIV chez les malades du SIDA ou la présence d'un gène de l'hémoglobine anormal chez les thalassémiques) à l'exception de démences comme la maladie d'Alzheimer. Ces marqueurs, à découvrir, seront très probablement à l'échelon microscopique et moléculaire, mais en leur absence la définition des maladies cérébro-mentales est syndromale, c'est à dire qu'elle repose sur la convergence de signes , symptômes et mode de survenue qui n'ont pas de signification absolue lorsqu'ils existent isolément. Il est donc encore souvent nécessaire d'utiliser le "phénoménotype" afin d'identifier le "biotype".
Partage en 'normal et 'anormal'
La définition d'une limite entre le 'normal' et 'l'anormal' des processus cerébro-cognitifs afin de délimiter correctement le phénoménotype de l'anormal est souvent la première étape dans l'identification du substratum neurologique d'un nouveau désordre cérébro-mental ("Hé! ho! C'est où la sortie ?"). Cette tâche est souvent très difficile et beaucoup de manifestations rencontrées au cours de maladies cérébro-mentales sont souvent peu différentes de manifestations équivalentes rencontrées chez des individus étiquetés comme 'normaux'. En fait les limites ainsi définies sont surtout commodes; elles permettent une définition reproductible d'un état pathologique, mais ne présentent pas de caractère biologique absolu.
Au cours de l'étude d'une maladie, il est parfois intéressant de se focaliser sur les symptômes individuels plutôt que d'étudier la maladie dans son ensemble, car le regroupement de certains d'entre eux peut attirer l'attention sur l'atteinte d'une fonction particulière. Par exemple, les mécanismes cérébraux qui contrôlent la perception auditive sont bien compris de même que ceux qui gouvernent l'élaboration de la parole. Il est donc clair que la compréhension des troubles cérébraux provoquant les hallucinations auditives rencontrées au cours de la schizophrénie bénéficiera beaucoup de cette connaissance.
L'élaboration de modèles testables
Cependant, la pratique de la psychopathologie scientifique requiert l'élaboration de modèles de maladies qu'il soit possible de tester. De tels modèles peuvent être développés à partir de différents points de vue, que ce soit ceux de la neurobiologie, de la neuropsychologie, de la psychologie cognitive ou la psychiatrie. Toutefois quelque soit leur point de départ, ces modèles doivent converger sur une voie finale qui possède des caractéristiques communes à toutes les approches, notamment:
L'auteur, Nancy Andreasen, applique ensuite sa proposition de modèle de psychopathologie scientifique à l'analyse de la schizophrénie dans un premier temps et à celle de la dépression dans un second temps.
L'étude analytique de la schizophrénie a conduit les investigateurs à rechercher le fil conducteur liant tous ses symptômes qui touchent pratiquement tous les domaines de l'activité 'mentale' et en particulier:
Ces symptômes ne sont pas forcément tous présents chez un malade donné, et aucun n'est pathognomonique à lui seul de la maladie, mais leur grande diversité suggère que des régions cérébrales multiples sont impliquées dans la maladie. Cependant en l'absence de lésions macroscopiques visibles et en l'absence de pathogènes, les investigateurs se sont tournés vers la construction de modèles qui pourraient expliquer la diversité des symptômes par un seul mécanisme. En utilisant cette stratégie quatre modèles différents ont été construits. Les conclusions convergentes obtenues à partir de ces quatre modèles sont particulièrement frappantes.
A) Le modèle de la psychologie cognitive
A partir du background de la psychologie cognitive, Frith a divisé les symptômes de la schizophrénie en trois grands groupes:
Frith pense que ces symptômes sont des cas particuliers d'un mécanisme sous-jacent plus général: un désordre de la conscience rendant impossible la pensée utilisant des méta-représentations (concepts abstraits d'ordre supérieur, qui sont des représentations d'états 'mentaux'). Frith et ses collaborateurs testent actuellement ce modèle en utilisant la tomographie par émission de positrons (TEP) et pensent que les rapports neuronaux normaux entre région frontales et temporales sont interrompus chez les schizophrènes (cf Go Sane! n°1).
B) Le modèle de la neurobiologie
L'approche de la schizophrénie par la neurobiologie mélange l'approche de l'études des lésions et celle des enregistrements monocellulaires sur des primates non humains. Goldman-Rakic a proposé un modèle suggérant que le malfonctionnement fondamental chez les schizophrènes est l'incapacité de diriger le comportement par des représentations symboliques, et qui correspond à un défaut de la mémoire de travail (cf Go Sane! n°1). La mémoire de travail est la capacité de conserver une représentation symbolique on-line et de réaliser sur elle des opérations diverses, permettant ainsi à l'individu de formuler et de modifier des projets de comportement d'une manière souple, en fonction de cette représentation propre, au lieu de se laisser conduire par des stimuli externes. Un défaut de cette mémoire de travail peut expliciter un grand nombre des symptômes de la Schizophrénie. Par exemple, l'incapacité à maintenir le plan du discours et à contrôler la parole émise aboutit à un discours désorganisé et à une pensée confuse ("Tiens, il doit y avoir des schizophrènes parmi les hommes politiques !"). L'incapacité de maintenir une conduite comportementale planifiée peut conduire à des symptômes comme l'avolition ou l'alogie, et l'incapacité à se référer à une expérience spécifique interne ou externe au niveau de la mémoire associative (régions frontales, temporales, pariétales et thalamiques) peut conduire à un niveau de conscience altérée s'exprimant sous forme de délires ou d'hallucinations.
Ce modèle se trouve fortement confirmé par des expériences élémentaires au niveau de l'activité cognitive de primates non-humains, ce qui a permis à Goldman-Rakic de cartographier les circuits neuronaux impliqués dans la mémoire de travail.
C) Le modèle de la psychobiologie et de la neurophysiologie
Cette approche de la schizophrénie a permis à Braff et à ses collègues de développer un troisième modèle, complémentaire des deux premiers. Ce modèle est basé sur la mesure des activités électriques cérébrales (surtout les potentiels évoqués) et repose sur l'hypothèse que le déficit de base dans la schizophrénie implique le traitement de l'information et l'attention. Le modèle dérive d'observations cliniques empiriques dans lesquels les patients atteints de la maladie se plaignent de recevoir plus d'informations qu'ils ne peuvent en traiter. En conséquence de quoi ces malades présentent des illusions, font la confusion entre leurs stimuli internes et externes et se retirent alors vers les territoires plus 'sûrs' (symptômes négatifs) que représentent l'alogie, l'anhédonie, l'avolition, etc. Une interprétation de ces observations postule que ces patients ne peuvent pas mobiliser leurs ressources d'attention ni les affecter aux tâches qui le nécessitent.
D) Le modèle de la psychiatrie clinique
Un groupe de chercheurs a utilisé l'apparence clinique de la schizophrénie comme point de départ, essayant dans un premier temps de localiser les différents symptômes dans des régions cérébrales définies en utilisant les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle et structurale. Cette stratégie a conduit à rechercher des anomalies dans des régions cérébrales spécifiques et à émettre des théories concernant les rapports entre symptômes et régions cérébrales atteintes tels les symptômes négatifs dans la région du cortex préfrontal ou les hallucinations dans le gyrus temporal supérieur. Cette approche est jugée cependant trop simpliste pour un autre groupe qui tente d'expliquer les symptômes cliniques comme la conséquence de l'interruption de circuits neuronaux anatomiquement identifiés et jouant un rôle dans les processus cognitifs fondamentaux. Des observations répétées d'anomalies dans les régions frontales, thalamiques et cérébelleuses chez les schizophrènes ont pu être mises en évidence par utilisation de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) et de la tomographie par émission de positrons (TEP). Ces observations ont permis d'émettre l'hypothèse selon laquelle ces connexions défectueuses pouvaient résulter d'un ou de plusieurs défauts du développement neural (probablement durant l'embryogenèse).
Le fil conducteur
Le fil conducteur de toutes ces observations c'est que la schizophrénie est le reflet d'une rupture du processus cognitif fondamental affectant des circuits neuronaux spécifiques du cerveau. Si les différents groupes de chercheurs utilisent des terminologies et des concepts quelque peu différents, ils véhiculent un thème commun: "Le dysfonctionnement cognitif de la schizophrénie est un référencement spatial et temporel inefficace de l'information et du vécu qui surviennent lorsque la personne essaie de déterminer les limites entre le soi et le non-soi et de formuler une ligne de conduite qui la guidera à petite ou à grande échelle dans les actions de la vie quotidienne."
Nancy Andreasen poursuit par l'analyse de la dépression en utilisant la même méthodologie. Elle montre que les résultats obtenus dans l'étude des maladies cérébro-mentales humaines par les approches de ce type sont particulièrement impressionnants et justifient totalement cette démarche.
Parallèlement à l'arrivée de nouvelles technologies, des stratégies nouvelles et des concepts nouveaux sont en train d'émerger dans la façon d'envisager les maladies cérébro-mentales. Les vieilles notions (verbales) de régions focales et de changements d'état sont maintenant remplacées par les notions (expérimentales) de circuits neuronaux et de mécanismes moléculaires. Le pouvoir des modèles est accru par la possibilité de les étendre aux espèces non-humaines (les singes, en clair), permettant ainsi l'obtention de données expérimentales confirmant les mécanismes proposés. La puissance des techniques de neuro-imagerie a également permis l'étude directe non-invasive (sans détruire le cerveau) des malades humains.
C'est bien la survenue de toutes ces avancées scientifiques qui a finalement permis l'émergence de la psychopathologie comme une science à part entière de l'esprit-cerveau malade.
Claude DANGLOT
Le paradoxe est très superficiel: la logique binaire sur laquelle s'appuie l'ordinateur est inhérent à sa conception physique actuelle (1997). Elle ne concerne pas son utilisation au travers de programmes et encore moins les processus de création des informaticiens, comme Jean-Marc Fouet l'a (brillamment) montré dans son article du Go Sane ! n°1. Rappelons-nous aussi que, en gros, les neurones fonctionnent sur un mode binaire.
L'informatique, comme toutes les autres sciences et technologies, constitue un comportement spécifique des time-binders. En tant que tel, les prémisses de la sémantique générale devraient donc s'appliquer et donner de meilleurs résultats que les prémisses aristotéliciennes. J'ai pu constater à de nombreuses occasions que c'était effectivement le cas.
Cette prémisse est évidemment respectée aux niveaux silencieux. Il est moins connu que, très souvent, deux ordinateurs de même marque et de même modèle présentent des différences matérielles non-négligeables. Les constructeurs pouvant faire varier les spécifications internes de leur machine sans prévenir (la marque et le modèle du disque dur par exemple, qui conservera la même capacité).
De plus, matériels et logiciels peuvent y être installés par l'utilisateur. Le principe de non-identité s'applique également à tous ces éléments rajoutés, car là-aussi, des modifications sont apportés en permanence par les constructeurs et les éditeurs de logiciels (par exemple des correctifs du système d'exploitation de la machine).
Toutes ces modifications ont un impact sur le comportement de la machine dans une situation donnée.
La complexité actuelle des matériels et logiciels fait que les interactions entre les différents éléments d'un système peuvent devenir très largement 'imprévisibles'. Malgré la simplicité d'utilisation des machines, à chaque instant, un grand nombre d'éléments sont actifs simultanément. Il n'y a donc pas forcément une seule 'cause' a une 'panne' donnée ('panne' due à l'interaction de plusieurs composants, par exemple), ce qui explique les fréquents renvois de balle entre constructeurs, éditeurs et utilisateurs, dans la culture aristotélicienne ambiante.
La multiordinalité se manifeste également dans des domaines de pointe, comme celui dont traite Jean-Marc Fouet, mais je lui laisse le soin d'en parler.
Considérant tout cela, vous pouvez vous demander comment il est possible que quoi que ce soit se passe normalement ! En fait, la situation n'est pas aussi dramatique que ça, car le taux d'erreur est relativement faible et les systèmes actuels prévoient ces effets de complexité et incorporent des mécanismes capables d'en éliminer une bonne partie automatiquement. Cependant, dans des environnements particulièrement complexes (développement de gros programmes, télécommunications, réseaux d'ordinateurs, etc.), il est très fréquent de tomber sur des cas ou la machine ne peut résoudre elle-même ces conflits.
Et c'est là que la pratique de la sémantique générale peut aider, en permettant de distinguer entre observations et inférences et surtout en favorisant une approche extensionnelle.
Je me souviens d'un exemple particulièrement frappant, au début de ma carrière, lorsque deux collègues étaient venus me demander de l'aide pour un problème sur lequel ils avaient 'séché' pendant une heure. Me présentant une partie de leur programme, l'un d'eux me dit: "D'après nos tests, le problème doit venir d'ici. Là, nous avons déjà vu et c'est bon, pas la peine de regarder." Et, joignant le geste à la parole, il pose une main sur la partie 'bonne' pour me la cacher. Vous devinez la suite... Je soulève doucement sa main et je commence a vérifier précisément cette partie du programme. Au bout d'une minute, j'avais trouvé une cause majeure de panne. La situation était débloquée...
Depuis, devant des problèmes 'insolubles', je me suis souvent posé la question "Quel est l'élément que je refuse d'incriminer ?"
Combien de fois ai-je entendu les mots "Je n'ai rien changé", "Ca marchait hier", ou "J'ai tout essayé" ? J'ai renoncé depuis longtemps à faire le calcul... Confronté à ce type de problème, il vaut mieux passer immédiatement à une exploration extensionnelle de ce qui a changé et de ce qui a effectivement été essayé.
José KLINGBEIL
Septembre 1997
Cet ouvrage important, qui sort en Septembre 97 aux Editions Hermès, est publié sous la coordination de notre maître-toile, Jean-Marc Fouet.
Vingt-quatre Universitaires et Industriels y analysent successivement les enjeux scientifiques, les techniques de formalisation et de gestion des connaissances, leur collecte et leur distribution.
Les gestionnaires ont progressivement pris conscience de l'importance des savoir-faire et des connaissances développés dans l'entreprise, ressource au moins aussi précieuse que les capitaux, à un moment où les vagues de réduction des effectifs conduisent à des risques très importants de pertes de compétences , et où la complexité des processus industriels fait une obligation de la prise en compte ordonnée des retours d'expérience, gage de fiabilité opérationnelle.
Ce livre s'adresse aux responsables d'entreprise qui veulent améliorer leur compréhension de ces techniques, aux consultants ou praticiens de la pérennisation des savoir-faire, aux étudiants de gestion et de technologie, et aux ingénieurs.
Nous vous en donnerons bientôt une analyse plus complète.
Jean-Claude DERNIS
Au début des années 60, il y avait à Paris, au 153 de la rue de Rennes, une petite librairie tenue par un grand libraire, Jacques Fourcade, auquel j'étais associée.
Un jour de mars 1963 un client qui nous avait découverts par hasard, est entré pour nous demander si nous pourrions lui procurer un livre d'un auteur nommé Korzybski. Cet auteur ne figurait pas dans les gros répertoires de la librairie française. Le client, qui s'appelait Jacques Rault, venait de suivre au mois de décembre une série des tous premiers cours donnés en France sur la sémantique générale d'Alfred Korzybski et il nous a dit qu'un premier séminaire aurait lieu au mois d'avril en nous encourageant vivement à y participer. A ma question : "la sémantique générale, qu'est-ce que c'est ?" Il a répondu simplement: "cela m'a beaucoup modifié". La façon dont il a prononcé ces mots m'a décidée à tenter l'expérience.
Le nom de Korzybski ne nous était pas tout à fait inconnu, il commençait a être 'dans l'air du temps'. Les livres de Bachelard, Boris Vian, Van Vogt, nous revinrent en mémoire. Un article de Gabriel Véraldi, paru dans le n°6 de la fameuse revue Planète, était consacré au "père de la sémantique générale".
Le vendredi soir du 23 avril, je pénétrais dans l'immeuble de l'avenue Mac Mahon. Au bas d'un grand escalier, une pancarte annonçait: "Séminaire , 2ème étage". Je gravis les marches le coeur battant. Sur le seuil de la porte, Gabriel Véraldi accueillait les participants. Beaucoup étaient déjà là, assis comme des élèves en classe devant un très jeune homme qui manipulait une curieuse machine, grâce à laquelle nous découvririons un peu plus tard que chacun pouvait voir les choses différemment. Severen Schaeffer, qui avait à cette époque un fort accent américain, apportait d'outre-Atlantique cette méthodologie non-aristotélicienne qui bousculait tant d'idées reçues, tant de choses et tant d'habitudes...
Cette soirée et les deux jours qui suivirent se passèrent pour moi comme dans un rêve et quand le dimanche soir je redescendis le grand escalier, j'étais moi aussi modifiée.
Ma première découverte avait été celle du monde du silence et le lundi matin me retrouvant rue de Rennes, il me semblait revenir d'un séjour en haute montagne, je respirais à pleins poumons, mon regard sur l'univers avait changé, tout bougeait, tout 'devenait', notre langage statique était plein d'embûches. Il ne s'agissait pas d'une compréhension intellectuelle, je 'voyais' plus loin, plus clair, des choses pressenties m'apparaissaient, je partais pour un grand voyage à la découverte des 'évidences cachées' dissimulées derrière le rideau des mots.
Quelques semaines plus tard, les livres sur la sémantique générale arrivés des USA occupaient un rayon spécial dans notre librairie. Ils éveillaient parfois des regards moqueurs. A cette époque les Etats-Unis n'avaient pas bonne presse dans certains milieux.
Henri Laborit, qui a dédié son livre Du soleil à l'Homme, paru en 1963, "A la mémoire d'Alfred Korzybski", expliquera plus tard dans La Nouvelle Grille qu'une idée neuve a du mal à se faire entendre parce que les récepteurs ne sont pas prêts pour la recevoir.
Nous étions un petit nombre à avoir reçu le message et, comme des pionniers, nous le transmettions à d'autres qui à leur tour le feraient passer...
En 1964, une partie de l'équipe de la rue de Rennes s'installera rue Galande et la librairie "Paris des Rêves" deviendra le lieu de ralliement des 'sémanticiens'.
Et c'est ainsi que le 3 juin 1975, Michel Saucet en passant par hasard dans cette petite rue Galande aperçut au n°50 ces mots: "SEMANTIQUE GENERALE RENSEIGNEMENTS ICI".
Marie SALLÉE, Paris
Ainsi Mireille de Moura et Didier Kohn ont continué la révision des derniers chapitres du Livre I de Science and Sanity, ce qui représente environ la moitié du livre. Un groupe de volontaires se sont également proposés pour relire les chapitres révisés. Didier a exprimé sa satisfaction sur les retours qu'il a déjà obtenus. Merci donc à tous ceux qui donnent de leur temps à ce projet.
Le séminaire prévu en Juin a été reporté au 10-12 Octobre. Maintenant que la réservation anticipée d'une salle extérieure est obligatoire, il est fortement recommandé de vous inscrire le plus vite possible, le prix modique de la participation ne nous permettant pas de faire un séminaire pour moins de 10 personnes.
L'apparence de notre site web a également changé, de façon a simplifier l'accès aux pages et faciliter le passage d'une langue à une autre. La traduction des pages en anglais, espagnol, italien et allemand a commencé et devrait se terminer vers la fin de cette année. Merci à Vincent Habchi pour sa participation à cette traduction. Ce projet nous permettra de présenter la sémantique générale à un public européen et plus.
Une nouvelle planification des réunions mensuelles a été adoptée, sur proposition de Charles Kramer: elles commencent maintenant à 19h.
Cette nouvelle planification des réunions a plusieurs avantages:
En juillet, Charles a inauguré cette nouvelle planification en présentant l'ISGS et ses publications.
En août, Mireille nous a présenté un exposé sur les relations entre "Alfred Korzybski et Gaston Bachelard", consultable sur le web. L'esprit critique de Mireille nous est apparu, en l'occurrence, fort justifié.
En septembre, réunion qui a accueilli 18 participants (un record), Jérôme Legras a fait un exposé sur la mécanique quantique et les expériences d'Alain Aspect sur la lumière. Difficile tâche que d'exposer ce sujet ardu à des personnes pas forcément spécialistes de la question. La mention 'Très Bien' lui a été décernée à l'unanimité ! Vous pourrez en juger en consultant son texte sur le web, au début du mois d'octobre.
La liste de distribution française comprend maintenant 55 membres. Faible activité (normale) pour ces mois d'été (ci-dessous).
Par contre, la liste anglaise, bien que réduite à 14 participants pour l'instant, s'est 'réveillée' suite à une exposition des théories d'Albert Ellis (Rational-Emotive Behavior Therapy) qui a fait couler beaucoup d'encre virtuelle. Ainsi le mois d'août a vu passer 45 messages sur cette liste. Comme quoi un sujet intéressant et/ou controversé peut faire beaucoup pour stimuler la volubilité électronique des participants. Rassurez-vous, toutefois: il n'y a pas encore de quoi faire frémir le trafic des autoroutes de l'information !