GO SANE !

Bulletin de la Société Européenne de Sémantique Générale
Numéro 1, juin 1997

Sommaire

Editorial: Quantique Androgyne
Développements Récents en Neurobiologie Cognitive
Intelligence Artificielle et Gosseyn Machine
'Les Mêmes'
La Médiation en Entreprise
Espace Lecture
Activités
Coin du Maître-Toile
Calendrier 1997
Adresses et téléphones utiles
Bulletin d'adhésion
Responsable de la publication et Rédacteur en chef
Jean-Claude Dernis
Editorial

Quantique Androgyne

Du vent sec à l'aubier,
radical imprévu,
qui recherche un modèle est tout perdu:
emprunt momentané, comme un clin d'oeil,
soleil de passage au reflet d'une flaque, aux surréels,
presque l'inadvertance,
petit doigt de comtesse buvant son chine,
qui montre la polaire

Genèse alchimique de l'être
reste secrète, et cependant miracle
qui rend si manifeste la polaire des uns
la croix du sud' une autre,
et donne aux spéciaux montreurs
et démontreurs de petits doigts
si peu de champ

Et tant de chants la chance
où l'événement privilège
foisonne, désarçonne,
à couper le souffle au couteau

Le flou résonne
et quand j'attends crever l'écume un foc,
quatre-vingt-dix-neuf symphonies
bousculent, m'éclaboussent.
Les yeux les branches
voilà les chants qui dansent immenses dans la tête...

Insaisissable délivrance consentie,
il faut oser livrer femelle !

Livrer bataille singulière
où la fécondité m'ouvre par le milieu,
dans l'affolement des douleurs plus centrales, plus intimes,
cette profondeur où ce qui nous vient
et que nous pro-créons
s'avère l'être qui nous dépasse,

Où cellelui qui largue les amarres,
souffrances traversées,
s'enchante aux orgasmes spirales
d'univers autres,
dans l'interminable déploiement des variétés de l'Un.

Jean-Claude DERNIS
Juin 1997


Développements Récents en Neurobiologie Cognitive

La revue "Science" a consacré son numéro de Mars 97 aux développements récents de la Neurobiologie de la Cognition, ce qui, pour ceux qui s'adonnent à l'étude d'Alfred Korzybski, est du plus haut intérêt. Je vais donc essayer de vous résumer cette revue aussi "fidèlement" qu'une carte peut prétendre représenter le territoire.

1. La Mémoire de Travail

L'article écrit par la journaliste scientifique Ingrid Wickelgren, propose une revue des connaissances actuelles sur la "mémoire de travail" (working memory).

La mémoire de travail intervient à tout moment lorsque vous lisez un texte, effectuez un calcul mental, ou tout simplement lorsque vous rentrez chez vous. Il est possible de la considérer comme la mémoire cache d'un micro-ordinateur qui conserve temporairement l'information dont vous avez besoin pour fonctionner, qu'il s'agisse de mots, de chiffres ou d'une "carte" de votre environnement (pollué) immédiat. Cette mémoire n'est active que pendant quelques secondes mais elle représente un élément central dans l'organisation du comportement, du langage et de la pensée.

ActuellementMai 1997 les neuro-biologistes commencent à identifier la "machinerie cérébrale" qui supporte cette activité. Les résultats obtenus valident l'hypothèse, émise 20 ans plus tôt, selon laquelle cette mémoire de travail résulte de la coopération de plusieurs zone cérébrales distantes. Ces régions sont différentes selon que la mémoire de travail concerne des objets, des localisations ou des mots, mais une région situé dans le cortex préfrontal (un peu en arrière et au dessus de vos sourcils broussailleux) joue le rôle de chef d'orchestre pour ces différentes régions. Cette région du cortex préfrontal (baptisée du doux nom "aire 46"), non seulement conserve l'information à court terme, mais coordonne l'activité des régions sensorielles au service du raisonnement supérieur et de la prise de décision. Si ces travaux de localisation permettent d'envisager la mise au point de drogues pour traiter les déficiences de la mémoire de travail survenant chez les parkinsonniens, les schizophrènes et les vieux gâteux (comme vous et moi), les pillules-mémoires sont encore du domaine de la Science Fiction.


Testez votre mémoire de travail
La solution de ce test dépend de votre
capacité à manipuler simultanément
plusieurs concepts.
Réponse dans le prochain numéro de Go Sane !

La localisation de la mémoire de travail a pu être réalisée chez des singes auxquels l'expérimentateur montrait deux objets qu'il cachait ensuite: durant la phase où les objets étaient masqués (jusqu'à 60 secondes) des neurones situés dans une zone limitée de la région préfrontale devenaient "électriquement actifs" (c'est à dire qu'ils émettaient régulièrement des trains d'influx nerveux). Des résultats similaires ont été obtenus avec des singes à qui l'expérimentateur faisait accomplir une tâche "retardée" impliquant une modification "spatiale". Il a même été possible de s'apercevoir qu'à l'intérieur de cette zone cérébrale limitée, les neurones "électriquement actifs" différaient selon la localisation spatiale de l'objet identifié. On a pu, enfin, élucider chez les singes le trajet des connexions par lesquelles transite l'information en provenance des différentes zones sensorielles vers le cortex préfrontal. Depuis 1996 l'expérimentation humaine est devenue possible par utilisation de techniques d'imagerie cérébrale non intrusives (c'est à dire sans ouvrir le crâne du sujet!) comme la tomographie par émission de positrons (PET des anglo-saxons) ou l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (fMRI des saxophiles). Chez l'homme, des résultats similaires à ceux observés chez les singes ont été obtenus concernant la reconnaissance des visages, des lieux et des mots. Ces activités ont été localisées dans le cortex préfrontal et dans des zones sensorielles distinctes. Des travaux récents janvier 1997 ont montré qu'il existait, au niveau des zones sensorielles, une mémoire de travail à très court terme qui était "écrasée" (comme un ancien fichier en informatique est écrasé par un nouveau fichier du même nom) par le stimulus sensoriel suivant (région temporale pour les images par exemple) mais qui était relayé par une mémoire plus durable (non immédiatement "écrasable") localisée au niveau du cortex préfrontal. D'autres études ont mis en évidence des résultats très similaires concernant la mémorisation spatiale. La mémoire de travail n'est cependant pas uniquement dédiée au stockage temporaire protégé de l'information, elle intervient également (comme mentionné plus haut) dans la prise de décision et la fixation de l'attention. Cette fonction est bien illustrée par les sujets atteints de lésions du cortex préfrontal qui présentent d'énormes difficultés à la prise de décision et à l'organisation et qui sont aisément distraits de leurs tâches. Des expériences effectuées par fMRI chez des humains effectuant simultanément deux tâches différentes en passant alternativement de l'une à l'autre et vice versa, ont montré que l'aire 46 de la région préfrontale devenait alors très active: ceci constitue la première démonstration, chez l'homme, du rôle majeur de l'aire 46 préfrontale dans la coordination de l'activité et la prise de décision.

L'objectif des chercheurs est maintenant de clarifier davantage les rôles de l'aire préfrontale et des zones sensorielles en ce qui concerne leurs participations respectives à la mémoire de travail. Les limites connues de résolution des techniques d'imagerie cérébrales non-intrusives sont maintenant atteintes. C'est donc de futurs progrès réalisés dans ces techniques qu'il faut attendre de nouvelles avancées dans l'étude du fonctionnement du "cerveau humain".

2. Les Mécanismes de Perception du Cerveau

Le second article de "Science" passe en revue les mécanismes de perception du cerveau (quel programme !). Il a également été écrit par une femme journaliste scientifique, Marcia Barinaga.

Il y a quelques années parler de la 'conscience' (*terme non-défini, éminemment multiordinal. NDLR) pour les neuro-biologistes nécessitait d'avoir ingurgité au préalable quelques pintes de bières, dans l'objectif avoué de lever les inhibitions causées par ce sujet tabou (burp !). Mais en cette période de laxisme intellectuel forcené (Mai 1997 ), les tabous sont oubliés, les manches se retroussent et les neuro-biologistes se mettent au boulot. Une des formes élémentaires de la 'conscience' est la conscience de soi, la conscience de l'environnement sensoriel et de ses rapports avec les sensations et plus particulièrement avec la vision. Son étude, qui a débuté depuis de nombreuses années chez les animaux, est actuellement très avancée. En revanche, l'étude de la "représentation mentale" de la vision n'a été entreprise que depuis peu, de même que la façon dont le cerveau 'influence' et 'modifie' la 'perception primaire' de la rétine. L'étude chez l'animal a montré que son 'état mental' influençait grandement sa perception et que ce qu'il percevait n'était pas l'image enregistrée par la rétine mais une image neurale formée dans le cortex. Cette image-neurale n'est pas une représentation 'fidèle' de la 'réalité' car elle a été modifiée par le cortex. Cette 'modification' peut survenir par un processus dit "de haut en bas" et qui implique une volonté délibérée, comme celle de focaliser son attention sur un objet précis (recherche d'un visage connu dans un foule par exemple). Elle peut aussi être la conséquence d'un processus "de bas en haut", hors contrôle de la 'volonté', et qui constitue une tentative du cerveau pour résoudre deux interprétations conflictuelles, comme les perceptions "bistables" produites par le cube de Necker ou ce couple vase/visages.


Couple Vase-Visages
Cette image induit une perception "bi-stable"

. Les modifications "de bas en haut"

Des expériences concernant le comportement des singes ont montré que ceux-ci présentaient un phénomène de perception alternée similaire à celui de l'homme lorsqu'une image appropriée leur était présentée. Ce phénomène a été mis à profit pour étudier les zones cérébrales plus particulièrement responsables de cette perception alternée. Dans la zone "MT", située à mi-chemin sur la voie nerveuse du traitement de l'information visuelle (en abrégé VNTIV ce qui correspond très grossièrement aux zones/trajets: rétine -> cortex visuel primaire -> zone corticale MT -> zone corticale "IT"), environ la moitié des neurones émettent des "trains d'influx nerveux" particulièrement importants lorsqu'une des deux perceptions est "active". Par contre leur émission d'influx nerveux devient beaucoup plus faible lorsque l'autre perception devient "active". Cela signifie donc que dans cette zone cérébrale l'activité d'environ la moitié des neurones ne reflète pas l'image perçue sur la rétine de l'animal (image qui ne change pas) mais qu'elle reflète ce que l'animal "perçoit". En multipliant ce genre d'étude le long de la voie nerveuse du traitement de l'information visuelle (VNTIV) l'équipe de chercheurs conduite par N. Logothetis a pu montrer que le pourcentage des neurones dont l'activité chez l'animal reflète la "perception" proprement dite, représentait 0% dans la rétine, 18% dans le cortex primaire, 50% dans la zone MT et pratiquement 100% dans la zone IT. Il est donc clair que les mécanismes neuraux qui sous-tendent la "conscience visuelle" sont répartis tout le long de la VNTIV, et que l'importance de leur activité constitue un gradient entre la rétine et la zone corticale IT, extrémité finale de cette voie.

A partir de la perception rétinienne primaire, la prise de conscience visuelle d'un individu serait donc "progressive" au fur et à mesure que le système nerveux "interprète" cette perception primaire (abstraction subcontinue à n dimensions, merci Alfred! ). La question se pose toutefois de savoir si l'activité de ces neurones 'modèle' la perception ou si d'une certaine façon elle est 'modelée' par cette perception. Des expériences conduites par l'équipe de W. Newsome (Université de Stanford) suggèrent qu'effectivement l'activité neurale de l'aire corticale MT modifie la perception. Pendant une expérience de perception bistable chez des singes, la stimulation électrique des neurones de la zone MT entraîne la prédominance de l'une des deux perceptions alternées. Des travaux sur la perception bistable et l'"effet chute d'eau" utilisant les techniques d'imagerie cérébrales (PET et fMRI) ont montré que, chez l'homme, les résultats étaient à peu près similaires à ceux obtenus chez le singe, bien qu'observés à un niveau plus "grossier" eu égard aux différentes techniques utilisées. L'effet "chute d'eau" consiste, après avoir observé pendant un certain temps une image en mouvement continu (chute d'eau), et passant à l'observation d'une image fixe, à avoir l'impression que celle-ci se déplace dans la direction opposée. Pendant la durée de l'"illusion", l'activité de la zone MT se poursuit ainsi que celle d'autres zones cérébrales sensibles au mouvement. D'après R. Tootell (Massachusetts General Hospital) qui a mené ces expériences: "L'activité [des neurones de la zone MT] crée, ou tout au moins contribue à l'illusion." et il termine par un définitif: "Les impulsions neuronales sont la conscience" ! (I'm afraid, Alfred! ).

. Les modifications "de haut en bas"

Les processus "de haut en bas" tels que l'attention, peuvent modifier la perception aussi puissamment que les processus involontaires "de bas en haut". Nous avons presque tous vécu l'expérience d'un livre passionnant nous conduisant à ignorer superbement le reste de notre environnement sensoriel. En fait le rôle essentiel de l'attention est de "filtrer" tout l'information parasite et de "focaliser" nos perceptions sur ce qui nous occupe. En 1985, R. Desimone, du National Institute of Mental Health, et ses collègues furent les premiers à montrer l'influence de l'attention sur les neurones des premières étapes de la VNTIV. Ils entraînèrent des singes à fixer le regard sur un point lumineux au centre d'un écran, pendant qu'ils enregistraient l'activité électrique individuelle des neurones de l'aire V4 de la voie "Quoi" (cortex visuel primaire). Cette aire contient des neurones répondant sélectivement à la couleur ou la forme, et constitue une des premières étapes de la "reconnaissance" des images mentales. Ces neurones présentent des aires limitées de sensibilité à l'intérieur du champ visuel total. R. Desimone et ses collègues ont ajusté une image sur l'écran de façon à ce que deux objets, un rouge et un vert se trouvent dans l'aire de sensibilité d'un neurone sensible au rouge dont ils enregistraient l'activité électrique. Ils demandèrent alors au singe de réaliser une tâche qui nécessitait de concentrer son attention sur l'objet rouge. Ils obtinrent une réponse électrique "normale" du neurone. Mais s'ils demandaient au singe de concentrer son attention sur l'objet vert, ils n'obtenaient plus aucune réponse électrique, alors que l'objet rouge se trouvait toujours dans l'aire de sensibilité de ce neurone sensible au rouge. Pour R. Desimone: "Tout se passe comme si le rouge avait été "filtré" par l'attention que le singe portait au vert.". En étudiant les neurones de la voie "Où" de la VNTIV, qui se "focalisent" sur la localisation spatiale d'un objet, le même genre de phénomène a pu être démontré. En définitive, chez les singes, le processus d'interprétation de la perception visuelle le long de la totalité de la VNTIV est sous le contrôle de l'idée correspondant à ce qu'ils tentent de voir.

D'après les études effectuées par l'équipe de S. Petersen, à l'Université Washington de St Louis, il est très vraisemblable qu'un mécanisme similaire existe chez l'homme. En demandant à des volontaires humains de fixer leur attention sur des objets colorés en mouvement, ils ont observé une activité intense dans l'aire MT lorsque les sujets se concentraient sur le mouvement; une activité intense de l'aire V4 lorsqu'ils se focalisaient sur la couleur; et une activité intense de la voie "Quoi" de la VNTIV lorsque les sujets s'intéressaient à la forme des objets. Chez l'homme, lors d'expériences de reconnaissance de visages, L. Ungerleider et J. Haxby (National Iinsitute of Mental Health) ont pu montrer que la voie "Quoi" était très active lors de l'identification des visages mais qu'en revanche, c'était la voie "Où" qui présentait le maximum d'activité lorsque l'attention se fixait sur la localisation des visages dans l'espace.

. La recherche du 'Centre de Contrôle'

Pour C. Koch et F. Crick (le Crick de l'ADN-prix Nobel 1953): "Les ordres indiquant au reste du cerveau sur quoi fixer son attention doivent provenir du cortex préfrontal." En suivant cette idée, ils ont émis l'hypothèse que les neurones des aires visuelles du cortex dont la réponse était modifiée par l'attention, sont ceux qui sont en connexion avec le cortex frontal dont ils reçoivent les impulsions. Il n'existe pas encore de preuves expérimentales supportant cette hypothèse, mais le chronométrage des expériences est compatible avec elle. Il faut environ 150 à 300 millisecondes pour que les neurones de l'aire V4 changent d'activité lors d'un changement de l'objet de l'attention (voie "Quoi" de la VNTIV) ce qui est amplement suffisant pour qu'un train d'influx nerveux transite de l'aire V4 vers le cortex préfrontal, avec retour à l'aire V4.

D'où vient le signal fixant l'attention et comment est-il diffusé vers les aires visuelles ? Voilà l'une des nombreuses questions soulevées par les expériences précédentes. Il est tentant de penser que l'attention puisse moduler l'activité des neurones des aires précoces de la VNTIV comme ceux des aires MT et V4, et que ces neurones soient responsables du contrôle de nos perceptions, mais les preuves définitives manquent encore. Pour N. Logothetis "Nous ne prétendons pas avoir une réponse définitive à la question de savoir comment vous percevez visuellement les choses, mais nous sommes assez satisfaits des réponses que nous avons déjà obtenues.". Une chose est cependant certaine: l'étude de la 'conscience'est maintenant une activité pleinement reconnue en Neurobiologie ! :-)

Claude DANGLOT
Médecin, Chercheur en biologie moléculaire


Intelligence Artificielle et Machine Gosseyn

Interview de Jean-Marc Fouet, Laboratoire d'Ingénierie des Systèmes d'Information, Université de Lyon.

Jean-Marc Fouet

Jean-Marc, quel parcours vous a mené à votre fameuse "Machine Gosseyn" de représentation et de traitement des connaissances ?

De 1975 à 1989, j'ai travaillé dans un Laboratoire de Mécanique, à l'ENS de Cachan. C'était la grande époque des systèmes dits 'experts'. Mon activité consistait à encadrer des chercheurs mécaniciens, leur donnant les bases théoriques et les outils leur permettant de construire des systèmes d'aide à la décision dans leur domaine. Nous avons ainsi réalisé:

Pour les premiers systèmes, j'ai écrit (en Fortran!) un moteur d'inférence, nommé Gosseyn, et mis au point et enrichi au fur et à mesure des besoins des chercheurs. Progressivement, je me suis rendu compte que je fonçais dans le mur (cherchant à faire faire au système des choses pour lesquelles il n'avait pas été conçu, cela devenait de plus en plus scabreux; à force de bricoler le système, je réécrivais sans le savoir des choses déjà présentes, et/ou j'insérais des éléments qui s'avéraient incompatibles avec d'autres): je faisais ce que j'enseigne qu'il ne faut surtout pas faire !

Parti enseigner aux USA, j'ai profité de mon isolement là bas pour réfléchir aux caractéristiques d'un moteur 'idéal'. Ce fut le projet "Machine Gosseyn", sur lequel j'ai soutenu ma thèse d'Etat. Depuis, le projet se développe au gré des thèses que je fais soutenir et de mes travaux personnels.

En quoi consiste alors cette Machine Gosseyn ?

Un système à base de connaissances (SBC) est composé d'une Base de Faits (l'état actuel du problème à résoudre), d'une Base de Connaissances (les règles à appliquer pour progresser vers la solution), et d'un Moteur d'Inférence (le programme qui applique les règles aux faits)*.[*pour explications plus détaillées, voir Annexes sur la version Web de Go Sane !] Ce SBC est censé, en appliquant des connaissances heuristiques*, résoudre en temps raisonnable un problème pour lequel le seul algorithme connu est de complexité* non-polynomiale*. Le fait de séparer les connaissances du moteur (alors que dans un programme classique, tout est mélangé) permet de modifier beaucoup plus facilement les connaissances au fur et à mesure que l'on fait tourner le système sur des cas de plus en plus complexes.

Pour nous, une heuristique est une méthode qui donne, vite, la solution, quand elle s'applique (mais qui ne s'applique pas toujours). Exemple: pour diviser par 5, on multiplie par deux et on décale d'un cran. Ca va beaucoup plus vite que l'algorithme d'Euclide, mais ca ne marche pas pour diviser par autre chose que 5.

Mais, le Moteur d'Inférence est lui-même un algorithme:

D'où l'idée ...

géniale !

(merci !) de remplacer le moteur lui-même par un SBC, qui est donc le méta-SBC du SBC. Le tour est joué.

Oui, mais le moteur du méta-SBC ?

C'est bien, je vois que vous suivez. Eh bien... c'est un SBC aussi. Ah-ah, mais jusqu'où ira-t-on? C'est la grosse astuce: ça s'arrête très vite, à condition que certaines des méta-connaissances soient réflexives, c'est à dire susceptibles de s'appliquer à elles mêmes.

Alors, comment se sert-on de la Machine ?

La première question à résoudre, dans une telle approche, est celle de la représentation des connaissances, il faut impérativement représenter dans le même formalisme connaissances, méta-connaissances, méta-méta-connaissances etc. A noter que, dans cette représentation, la profondeur de l'arbre des objets est potentiellement infinie: contrairement aux représentations aristotéliciennes, dans lesquelles on a un arbre de classes 'abstraites' dont les feuilles sont des objets 'concrets' (ci-contre), ici la distinction n'est pas faite: un objet que les A nommeraient 'concret' peut très bien avoir des instances, ce qui permet entre autres de respecter les principes non-A d'indexation et de datation (ci-dessous).


Exemple d'arbre avec objet 'concret' indexé (en pointillés).

Une deuxième question est celle de la modification dynamique des connaissances au fur et à mesure de leur utilisation. Un aspect de la question est la remise en cause automatique des structures hiérarchiques entre objets, à la suite d'une introspection du système: le système enregistre une trace de ce qu'il fait et comment; quand l'utilisateur est parti, il cherche comment il aurait pu résoudre le problème plus vite. Il en induit des modifications qu'il met en place. Exemple: je perds du temps à me demander combien de portes a la voiture; je crée la classe des berlines et celle des coupés, et je n'ai plus à me poser la question.

Le point suivant concerne l'interaction d'un tel système avec les utilisateurs (à ce jour surtout des ingénieurs, notamment dans l'aéronautique). Le système tient à jour un 'modèle' de chaque utilisateur, et s'adapte à son évolution dans le temps. Une thèse a été soutenue sur ce sujet, et je concrétise maintenant dans le cadre d'un contrat industriel.

Comment un SBC est-il alimenté en connaissances ?

C'est le rôle du "cogniticien". Or la personne qui détient les connaissances:

Le résultat (les connaissances transmises au SBC) va donc être de mauvaise qualité:

Au delà d'une certaine masse, le cogniticien va laisser passer de telles imperfections. Le seul 'membre de l'équipe' capable de mettre ces imperfections en évidence est le SBC lui-même, en comparant chaque nouvelle connaissance avec celles qu'il détient déjà. Mais l'algorithme pour ce faire... est salement non-polynomial* Donc on fournit au SBC des méta-connaissances heuristiques pour trouver des imperfections dans ses connaissances. Bien entendu, vous l'aurez deviné, elles s'appliquent à elles-mêmes. Ceci fait l'objet d'une thèse en cours de rédaction.

Au lieu d'interviewer des experts, on peut déjà aller voir ce qu'ils ont écrit. Le problème est de coder ces écrits dans la représentation de la Machine Gosseyn. Sans vouloir faire de l'analyse automatique de langue naturelle (chacun son métier), nous sommes en train de mettre au point un outil qui assiste le traducteur, en s'appuyant sur des considérations syntaxiques, morphologiques, et sémantiques.

Et comme tout cela ne vous suffit pas, nous avons cru comprendre que vous aviez d'autres chantiers ?

Une partie de l'équipe que j'anime s'occupe de faire résoudre par la machine, élégamment, des problèmes fortement combinatoires, en découvrant automatiquement les bonnes heuristiques pour la classe de problèmes traités. Deux thèses soutenues fin 96, l'une sur les emplois du temps et les problèmes style "voyageur de commerce", l'autre sur la découverte de la structure de molécules de chimie organique.

Les 'bonnes heuristiques' ne sont pas les solutions, mais le moyen de trouver les solutions. Exemple: je veux placer des composants sur une carte électronique, en minimisant les trajets, et en dispersant ceux qui chauffent. Heuristique: commencer par placer ceux qui chauffent le plus, puis positionner les autres composants, au lieu d'avoir un algorithme qui applique des méthodes mathématiques à l'ensemble, je dote chaque composant (ou plus exactement son représentant dans mon système) d'une fonction 'plaisir/douleur' (il fait trop chaud, je suis trop loin de celui-là) et ils se mettent a discuter: "pousse-toi de là", "tu viens, chéri?", etc. La carte (ensemble de composants et de câbles) s'auto-organise pour maximiser le 'plaisir' de ses composants.

Une autre partie de l'équipe se penche sur les problèmes d'émergence: comment, en mettant côte à côte des tas d'algorithmes simples, obtient on un comportement complexe. (Métaphore de la termitière*). Et comment diriger le comportement de cet ensemble vers un but pré-défini.

Quelles sont les limites les plus immédiatement sensibles dans vos travaux d'aujourd'hui ?

Ce n'est pas tant un problème de quantité ou de densité des méta-connaissances. Nos limites les plus sensibles viennent de ce que les mécanismes que nous avons pour exploiter ces méta-connaissances sont encore trop simplistes.

Merci, Jean-Marc de votre accueil au LISI et à bientôt !

propos recueillis par Anne Duverne et Jean-Claude Dernis


'Les Mêmes'

Réponse à des messages envoyés sur la liste de distribution Internet américaine. Toute ressemblance avec des événements réels ne pourrait être que fortuite.

Je voudrais ajouter un autre exemple de 'ressemblance' à celui de Roy, cette fois non plus avec des échantillons d'eau mais plutôt de sang, pris sur la même personne à un 'temps' donné.

Chauffons-en un et laissons le refroidir.

Si nous examinons ces échantillons au niveau des composants, nous trouvons qu'ils contiennent de l'hydrogène, de l'oxygène, du carbone et quelques autres éléments en quantités moindres...

Ces échantillons sont-ils 'les mêmes' ?

Oui, au niveau abstrait (limité) des composants physiques, comme nous pouvons le mesurer avec nos instruments. Ils peuvent avoir la 'même' température, la 'même' quantité, etc.

Mais qu'en est-il des sous-structures internes ? Il s'avéra que le donneur était séropositif et avait des virus du SIDA dans son sang. Dans l'échantillon chauffé, les structures du virus avaient été détruites.

Au niveau de l'événement, comme l'a mentionné Roy, les échantillons ne peuvent pas être identiques. C'est une des prémisses de la sg. N'oublions pas l'ordre naturel et rappelons que ce niveau est le plus important pour la survie. C'est une des bonnes raisons de l'étudier avec nos sciences.

Ainsi, à un certain niveau d'abstraction, l'un des échantillons pourrait être correctement étiqueté "sang contaminé" ou "sang suspect" et devrait être éliminé dans l'intérêt de la santé humaine. Il pourrait aussi être étiqueté "sang pour transfusion", si nous faisons un jugement d''identité' en mesurant les composants physiques. Mais en prendriez-vous (maintenant que vous 'savez') ?

En conclusion, un jugement d''identité' est simplement une fonction de ce que nous abstrayons à partir du niveau de l'événement, une décision que nous faisons à propos des différences qui font une différence au mieux, une preuve de notre ignorance au pire. Dans mon expérience, deux objets (au niveaux silencieux) ne sont jamais les 'mêmes'. A un niveau d'abstraction supérieur, nous pouvons faire une évaluation d''identité' (ou plus précisément de ressemblance) à nos risques ou à ceux des autres. D'où ma réaction à la prétention d'utiliser le mot 'même' à un seul niveau (objectifié) d'abstraction.

José KLINGBEIL
Mai 1997


La Médiation en Entreprise

Mise en oeuvre pratique d'une logique ternaire dans les sciences humaines

La médiation en entreprise concerne des situations où un tiers indépendant joue un rôle de catalyseur entre des personnes et/ou des groupes. De ce fait elle met en oeuvre une logique 'du tiers inclus', qui pourrait bien intéresser aussi des groupes de recherche pluridisciplinaires.

Jean-Daniel Remond, biologiste et psychosociologue, fut il y a quelques années un des fondateurs de l'Institut de la Médiation;. Il fut aussi l'un des premiers français à suivre, avec Muriel Reed, les séminaires de Sémantique Générale de S. L. Schaeffer (cf la revue Réalités d'avril.1964). Brigitte de Pons contribue aujourd'hui au développement du Réseau des Médiateurs en Entreprise (R.M.E.).

La démarche de médiation met en oeuvre, entre autres techniques, des éléments clairement liés à certains principes et outils de la S.G. Nous n'en citerons ici que quelques uns:

Il nous semble que bon nombre des axes de travail dégagés dans les formations théoriques et pratiques des médiateurs, pourraient apporter des éléments fort utiles aux nombreuses équipes de chercheurs qui aujourd'hui buttent sur les difficultés des démarches pluri- et trans-disciplinaires.

Nous vous apporterons plus de détails lors d'un reportage dans un prochain numéro. En attendant, ceux qui s'intéressent à ce sujet peuvent contacter Brigitte De Pons (106567.727@compuserve.com) ou nous écrire.

Jean-Claude DERNIS


Espace Lecture

L'arbre de la connaissance: racines biologiques de la compréhension humaine.

Humberto R. Maturana et Francisco J. Varela, Paris, Addison-Wesley, 1994.

Traduit de l'américain par François-Charles Jullien avec la collaboration de Hélène Trocmé-Fabre

"Au coeur des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui se trouve notre ignorance de l'acte de connaître".

J'ai trouvé dans ce livre une invitation à réfréner notre habituel désir de certitude. Il offre à l'honnête homme, autant qu'au professionnel, une introduction avancée, un manuel élémentaire, présentant un point de vue nouveau sur la biologie de la cognition humaine.

Les auteurs, biologistes, examinent le phénomène de la cognition (l'acte de connaissance) et les actions humaines qui en découlent, et ils montrent qu'il est impossible de séparer de l'histoire de nos actions (qu'elles soient biologiques ou sociales-c'est-à-dire enracinées dans le langage) la façon dont le 'monde' nous apparaît.

"Toute chose dite est dite par quelqu'un, à un moment donné, en un endroit particulier."

Les auteurs proposent une théorie de la 'connaissance' qui montre comment c'est l'être connaissant qui engendre les explications sur la 'connaissance'. Nous reconnaissons là un processus auto-réflexif.

Connaître est ici décrit comme l'acte (processus actif) de celui qui connaît, enraciné dans son organisation d'être vivant, dans sa structure biologique. Il est compréhensible à partir de l'examen du système nerveux, et non le simple miroir d'une réalité objective externe (le monde et moi pour le connaître).

Pour appuyer ce point de vue, les auteurs explorent divers sujets: la nature de l'explication scientifique, l'organisation des êtres vivants (composés d'éléments autopoïétiques, c'est-à-dire s'auto-créant de façon continue et évolutive), l'évolution, la linguistique et le langage, l'émergence de la conscience de soi .

La cognition humaine, en tant qu'action efficace, appartient au domaine du biologique, mais toujours vécue au sein d'une tradition culturelle (linguistique et langagière). Elle crée notre 'monde' d'expériences.

Plus encore, ce 'monde' que chacun peut voir n'est pas le monde, mais un mondepersonnel-et-partagé que nous faisons émerger avec les autres; autrement dit, nous ne pouvons observer ce que nous faisons (voir, sentir, construire, préférer, rejeter, converser,...) que comme 'un monde'à-moi-influencé-par-quelques-autres constitué en coexistence avec quelques autres personnes.

"La connaissanceméta de la connaissanceopérationnelle nous oblige à reconnaître que la certitudeindividuelle n'est pas une preuve de véritépartagée." Dans cette citation, l'indexation est la nôtre: cet ouvrage bénéficierait grandement, à mon avis, de l'emploi des outils extensionnels de Korzybski. Cela dit, j'y ai trouvé une belle analyse des processus neuro-sémantiques, et c'est certainement un excellent exemple d'étude de 'l'organisme-comme-un-tout-dans-un-environnement'.

Je vous le recommande. Bien que traitant d'une matière ardue pour un "non-scientifique" comme moi, je le trouve lisible et bien écrit; l'objet lui-même (mise en page, format, présentation, illustrations,...) est extrêmement soigné. Pour tout dire, je le trouve vraiment beau.

Bonne lecture  !

Et n'hésitez pas à faire part de vos commentaires, à proposer des lectures qui vous ont intéressé ‚... Pour ce faire, utilisez le Courrier des Lecteurs.

Anne DUVERNE


Activités


Coin du Maître-Toile

Voici les statistiques du web préparées par Jean-Marc. Le premier graphique montre le nombre de visites effectuées sur nos pages depuis la création de l'association. Depuis avril, nous avons comptabilisé les accès aux deux adresses possibles de la page principale, ce qui a eu pour effet le bond spectaculaire que vous pouvez observer. Le nombre moyen d'accès se situe maintenant autour de 500 ! Un résultat plus qu'honorable pour une association qui vient à peine de fêter son premier anniversaire. Nous attribuons ce bon résultat au fait que de nombreux sympathisants ont mis un lien vers notre site web sur leurs propres pages, ce qui a eu pour effet d'attirer de nombreux visiteurs. Le fait que notre site soit multilingue paraît aussi un 'plus' très apprécié.

Le second graphique montre le nombre de messages envoyés sur la liste française. L'augmentation de fréquentation est liée à une plus grande participation des 50 adhérents de cette liste et à l'arrivée de quelques 'nouveaux'. La moyenne actuelle est d'environ 35 messages par mois.


Calendrier 1997

4 juilletRéunion mensuelle du groupe parisien
18-25 juilletIGS summer seminar workshop, à Mills College, Oakland, Californie
26-30 juilletScience and Sanity seminar, à Mills College, Oakland, Californie
8 aoûtRéunion mensuelle du groupe parisien
5 septembreRéunion mensuelle du groupe parisien
3 octobreRéunion mensuelle du groupe parisien
10-12 octobre Séminaire ESGS avec Henri Landier
18-19 octobreSéminaire Niveau 1 à Lyon Jean-Claude Dernis
8, 9 novembreSéminaire Niveau 1 à Paris Jean-Claude Dernis
29, 30 novembreSéminaire Niveau 2 à Paris Jean-Claude Dernis
13,14 décembreSéminaire Niveau 2 à Lyon Jean-Claude Dernis

© ESGS, 1997.