Qu'est-ce que le sel ?


par Steven Lewis
(version originale)

Copyright © 1996 Steven Lewis. L'auteur donne ici permission d'utiliser cet article sous forme électronique seulement, en partie ou en totalié, à toute personne ou institution pour des motifs éducatifs, tant qu'aucun payement n'est perçu en retour.

Au printemps 76, je me suis inscrit à un cours d'épistémologie à l'Université du Kansas, principalement parce que Korzybski avait parlé favorablement de cette branche de la philosophie et que je voulais en apprendre plus. J'aurais du me rendre compte que j'étais mal parti, parce que les écrits d'Aristote occupaient pratiquement le tiers du cours et que le plus récent des philosophes à évaluer serait David Hume.

Le premier jour de classe, le professeur me donna la première de nombreuses leçons sur les difficultés de la sémantique générale. Il demanda à toute la classe: "Qu'est-ce que le sel?". Un étudiant répondit "chlorure de sodium." Un autre "une poudre cristalline blanche." Puis un autre "une épice." En fin de compte, théatralement, le professeur nous répondit que nous n'avions rendu compte que de ce que nous faisons avec le sel et de quoi il était fait. Mais néanmoins, aucun de nous n'avait dit ce que le sel EST.

Je n'en croyais pas mes oreilles. Ma main se leva brusquement et dans mon innocence juvénile, je dis: "Quoi que l'on dise que le sel est, il ne l'est pas, car ce n'est pas des mots." Pendant un instant, je m'imaginais qu'on allait m'offir une bourse d'études spéciale. Le professeur me fixa un instant et personne ne dit rien. Juste au moment ou je pensais qu'il allait m'inviter à donner une conférence à sa place, il dit "Bien sûr, le sel n'est pas un mot. Mais vous ne m'avez toujours pas dit ce qu'est le sel."

Visiblement, il allait être dur de lui faire comprendre, mais je continuais: "La chose cristalline blanche que vous mettez sur votre nourriture existe au niveau non-verbal. Le mot 'sel' existe au niveau verbal. Quoi que l'on dise à propos du sel non-verbal sera au niveau verbal. Ce que les autres ont dit sur le sel — de quoi il est fait, ce que l'on peut en faire — nous donne de l'information structurelle sur le sel. C'est révélateur parce qu'une fois que l'on différencie les niveaux verbaux et non-verbaux, la structure devient le seul lien possible entre eux."

Il y eut une pause qui parût interminable, puis mon professeur répondit: "Oui, mais ils ne m'ont pas dit ce qu'était le sel et vous non plus."

A partir de là, le professeur fit parcimonieusement appel à moi durant ses cours. Je pense qu'il croyait que c'était son comité de titularisation qui m'avait demandé de m'inscrire à son cours. Nous étions notés, ce semestre, sur la base de plusieurs devoirs évaluant les choses que nous lisions en classe. Je continuais dans une analyse d'un point de vue de sémantique générale dans chacun de ces devoirs, au grand dam de mon professeur. Dans ma première dissertation, j'analysais nos lectures d'Aristote du point de vue de Korzybski. Mon professeur me demanda de réécrire mon devoir deux fois, mais n'attribua jamais de note. Il disait sans arrêt qu'il ne comprenait pas mes idées et que de toutes façons, je ne "faisais pas de la philosophie". Pratiquement à la fin du semestre, j'avais rendu 7 devoirs mais n'avais été noté que deux fois... B et B-. Sur mon dernier devoir, il écrivit "passez me voir, s'il vous plaît" et à cette entrevue il me demanda de quitter le cours. Il dit qu'il pensait pas pouvoir noter mon travail et qu'il me laisserait partir sans note si j'acceptais de partir sans esclandre. Au bout du compte, je n'obtins pas ma bourse d'études spéciale; au lieu de çà, un coup de pied au derrière.

On pourrait dire que mon excursion dans l'antre des philosophes m'a fait comprendre l'évaluation de Korzybski en page 77 de Science and Sanity. Elle m'a aussi fait réaliser que, malgré la verbosité de Korzybski, la sg peut être particulièrement difficile pour ceux qui ont investi leur vie dans la confusion des ordres d'abstraction. Je ne pus jamais obtenir de mon professeur d'épistémologie qu'il sente la différence entre les niveaux verbaux et non-verbaux. Plus tard, je me rendis compte que cela était lié, au moins en partie, à la nécessité de visualiser la théorie korzybskienne. Korzybski fit tant de bruit autour de l'entraînement avec le Différentiel Structurel parce qu'il savait qu'il fallait apprendre à visualiser sa théorie pour la comprendre totalement et l'appliquer. Je ne pus jamais apprendre à mon professeur de philosophie à visualiser les niveaux d'abstraction et il ne comprit jamais cela.

Si nous apprenons à visualiser les différents ordres d'abstraction, alors nous voyons que la seule relation entre le monde des niveaux verbaux et non-verbaux doit être structurelle. Lorsque nous répondons à une question telle que "Qu'est-ce que le sel" nous allons donner des données structurelles, comme sa composition, où on le trouve, à quoi nous l'utilisons.... Nous n'allons pas essayer de faire entrer de force le niveau verbal dans le non-verbal. Si nous voulons évaluer le sel non-verbal à ce niveau, il nous faut être silencieux et regarder, toucher, goûter ... mais pas parler!