"Impostures Intellectuelles"

une critique par José Klingbeil

Impostures Intellectuelles

par Alan Sokal et Jean Bricmont, Ed. Odile Jacob 1997.

Dans ce livre, Sokal et Bricmont dénoncent l'abus systématique de mots et de théories empruntés aux sciences. Les auteurs montrent comment certains 'intellectuels' ont incorporé dans leurs écrits des formulations scientifiques (ou plutôt qui l'étaient avant qu'ils ne s'en emparent) pour démontrer, justifier, cautionner, etc., des théories plus ou moins fumeuses, voire simplement pour éblouir les gogos que nous sommes par leur 'éloquence' et leur vaste (mais superficielle) érudition. Sokal et Bricmont font donc oeuvre de sanité en dénonçant ces abus.

Un bon nombre des erreurs commises par les auteurs visés ont déjà été signalées par Korzybski en son temps. Confusions des mots, entre leurs significations scientifiques et leurs significations 'courantes' (ici: "chaos", "relativité", "limite", "énergie"), ou confusions d'ordres d'abstractions (identifications) basées sur les mots "fait", "exister", "vérité", etc., qui permettent de se sortir de toutes les situations en réfutant par avance le recours au 'juge de paix': le retour aux niveaux non-verbaux, à une vérification expérimentale, base de tout ce que j'appelle "science" et dont Korzybski nous a appris l'intérêt pour notre sanité:

"L'aspect le plus frappant de Lacan et de ses disciples est sans doute leur attitude envers la science, privilégiant, à un point difficile à imaginer, la " théorie " (c'est-à-dire en fait le formalisme et les jeux de langage) au détriment de l'observation et de l'expérience. Après tout, la psychanalyse, en supposant qu'elle ait une base scientifique, est une science relativement jeune. Avant de se lancer dans de grandes généralisations théoriques, il serait peut-être prudent de vérifier l'adéquation empirique d'au moins certaines de ses propositions." (p.38)

"Pour le relativiste, il n'existe simplement pas de réponse unique; cela vaut pour les controverses résolues autant que pour les controverses ouvertes. Par contre, les scientifiques qui cherchent la bonne solution ne sont pas relativistes, presque par définition. Bien entendu, ils utilisent " la nature comme un juge extérieur ", c'est-à-dire qu'ils cherchent à savoir ce qui se passe réellement dans la nature et mettent sur pied des expériences adaptées à cette fin." (p.93)

"Selon Deleuze et Guattari, la philosophie s'occupe de " concepts ", tandis que la science s'occupe de " fonctions "." (p142)

Lacan, Kristeva, Irigaray, Latour, Baudrillard, Deleuze, Guattari, Virilio, Debray et quelques autres font les frais des critiques de Sokal et Bricmont, entrecoupées de considérations sur les mouvements 'relativistes' et 'postmodernistes', dans lesquels ces oeuvres s'inscrivent. A ce propos, il faut noter que les auteurs s'attaquent simplement au 'relativisme cognitif' et aux formes extrêmes du 'postmodernisme' en sciences et en 'philosophie'. Nous sommes loin du 'scientisme' naïf ou borné, dont leurs adversaires les ont accusé:

"On distingue plusieurs types de relativisme, selon la nature de l'énoncé: le relativisme cognitif ou épistémique lorsqu'il s'agit d'une affirmation de fait [....] Nous nous attacherons ici exclusivement à la question du relativisme cognitif et non à celles du relativisme éthique ou esthétique, lesquelles nécessiteraient une discussion très différente." (p.53)

Ces coups ne seront certainement pas suffisants pour démolir ces forteresses de la 'philosophie' moderne, mais elles seront probablement ébranlées dans leurs fondations mêmes, comme en témoigne la virulence des réactions provoquées par "l'affaire Sokal".