La Sémantique Générale Aujourd'hui: une critique


par Henri Landier

Introduction

« Dans mon expérience des adultes qui n'ont eu qu'un court contact avec mon travail, je trouve dans beaucoup de cas que bien qu'ils puissent avoir donné leur approbation verbale complète au point principal du système, il manque invariablement la pleine application en pratique... L'importance sémantique des présentes découvertes ne réside pas dans l'approbation verbale seule, lorsque cette approbation n'est pas mise en application.... » (S&.S p. 455)

Le livre de Michel Saucet n'est pas, à mes yeux, un ouvrage de sémantique générale. La prise de conscience des niveaux silencieux m'en paraît totalement absente, et il ne reste de la s.g. qu'une caricature, un peu comme une projection déformée à deux dimensions de quelque chose à trois dimensions. Ou, pour paraphraser A.K. (S&.S p. 458), Michel Saucet confond un os à moelle avec un os en carton simplement frotté d'un peu de viande.

L'ouvrage constitue, encore à mes yeux, une contre-performance remarquable, et je l'ai conseillé à mes élèves en leur demandant de se munir d'un feutre de couleur. Il me paraît en effet utile et amusant de passer le feutre sur les verbes 'être', les 'ou bien'/'ou bien' (monde intérieur/monde extérieur, deux aspects, langage/choses, factuel/inférentiel...), les énonces auto-réflexifs contradictoires, etc.

J'ai procédé à ce coloriage qui n'est pas fini! Les quelques pages qui suivent en donnent brièvement la description, au gré de ma lecture et de mes humeurs de l'instant. Il m'est arrivé de prendre un malin plaisir à donner des exemples qui 'mettent en porte-à-faux' les citations du texte: il me paraît beaucoup plus difficile de mettre dans cette situation des expressions en accord structurel avec "ce qui se passe".

Bien des 'prêtres' passent leur vie à faire comme les facteurs: transporter sans cesse des paquets dont ils ignorent le contenu; l'auteur de l'ouvrage agit apparemment de cette façon.


					H. Landier
					2 septembre 1984 (revu le 12/5/96)

Conventions d'écriture

Les nombres qui figurent page par page dans la partie gauche du texte signifient:


p1/p2:	p1: page dans la première édition (Retz 1983)
	p2: page dans la deuxième édition (Courrier du Livre 1987)
Les numéros de pages en gras démontrent de graves erreurs de compréhension et de maîtrise de la discipline.
"LA SEMANTIQUE GENERALE AUJOURD'HUI"
par Michel SAUCET (critique écrite par Henri Landier le 2/9/84, sélection revue le 12/5/96)

11/14 « Pour celui qui vit la sémantique générale, toutes les pensées sont nuancées »
Y compris celle-ci ? A rapprocher de Bulla de Villaret: « le non-sémanticien fait des catégories, le sémanticien n'en fait pas ».

21/25 « La carte, c'est l'ensemble des mots... ; le territoire c'est le référent »
Deux 'est' d'identité (carte = mots, territoire = référent); l'auto-réflexivité (les mots pouvant parler des mots): connais pas...

27/31 Test de non-discernement des inférences, histoire A
Une erreur dans les réponses de l'auteur, deux pages plus loin. Cherchez bien !

42/46 « C'est ... cette sélection inconsciente des caractéristiques... que K. appelle l'abstraction. »
Ce n'est pas ! Abstraire n'est pas sélectionner des caractéristiques.

46-50 « En effet, le mot 'voiture' est une inférence; il est le symbole de quelque chose de non représentable, d'un concept. »
L'auteur a-t-il lu S&.S ? : « As we know already, we use one term, say 'apple', for at least four entirely different entities ; namely (1) the event, ... (2) the ordinary object ... (3) the psycho-logical picture ... (4) the verbal definition of the term. » S&.S, p. 384, 3e paragraphe. L'auteur aurait pu échapper à ces confusions en utilisant quelques indices.

49/53 « L'enfant ... est plongé dans un système culturel qui va littéralement le programmer (time-binding). »
Ce n'est pas le time-binding!

49/53 « Prenez un objet ... en vous interdisant de verbaliser. ...De quelques secondes au départ, vous pourrez 'tenir' plusieurs minutes au bout de quelques jours. »
Si vous vous comportez honnêtement, je vous mets au défi de seulement pouvoir prendre l'objet' en mains !

50/54 « ...nous pouvons supposer que la perception d'un objet pour un chien et pour un oiseau par exemple est très différente et, de toutes les façons, c'est quelque chose que nous ne pouvons nous représenter. »
Ce qui est fait immédiatement dans le schéma en dessous !

52/56 « C'est le niveau des événements ... C'est l'impact de 1... Nous sommes toujours ... C'est la réaction au 2... C'est la réaction linguistique ... C'est enfin le niveau verbal. »
Bagatelle de 6 fois le verbe 'être' en quelques lignes censées, sans doute, aider à la suppression des identifications ?

66/70 « En aucun cas, il n'y a opposition entre les deux, ce qui nous ramènerait ipso facto à une orientation bivalente.... Nous vivons dans deux univers: l'un à l'intérieur de notre peau est celui des pensées, des sentiments, etc... ; le second ... »
Savoureux à lire après 'orientation bivalente' !

66/70 « le second à l'extérieur de notre peau est celui de la réalité où se produisent les événements. »
Brrr ! J'aime mieux pas savoir ce qu'il y a à l'intérieur !

66/70 « Le premier [monde intérieur] est dit intensionnel, le second [monde extérieur] extensionnel »
Ici la confusion devient totale: NON et NON !

66/70 « [la définition intensionnelle] se situe dans le monde verbal, l'autre [la définition extensionnelle] dans le monde non-verbal. »
NON: cherchez l'erreur !

67/71 « ...nous devons avoir une orientation extensionnelle... »
Sans doutes faut-il être toujours extensionnel (de façon intensionnelle?).

70/74 « C'est pour nous faire prendre conscience du caractère fragmentaire de notre connaissance des faits que AK proposa l'utilisation du etc. »
Exemple typique du 'est' d'identité: le 'etc.' ne signifie pas tout ce que nous ignorons, ou ne pouvons savoir. Il peut aussi signifier (par exemple) que je cesse l'énumération provisoirement, que j'attire l'attention sur le fait que l'aspect retenu me suffit sans 'être' le seul, etc.

72/76 « une prémisse est tout simplement une affirmation qui va servir de base à un raisonnement »
N'EST PAS . Pour avoir pris brutalement conscience à plusieurs reprises de quelques unes de mes prémisses, pour avoir vu ce qui se passe lorsque cela arrivait à d'autres, je peux dire « ce n'est pas... ». Aux U.S.A., en 1965, O.R. Bontrager disait, à l'I.G.S.: « Vous êtes ici pour prendre conscience de vos prémisses et les éliminer, aux niveaux silencieux ». J'ai mis plusieurs années à saisir...

80/84 « Pour échapper à cet élémentalisme, j'utiliserai de temps à autres le mot évaluation qui peut être défini comme étant le processus se déroulant dans le psychisme »
Ca y est, on a échappé à l'élémentalisme ('psychisme')!

83/87 « En réalité, bien que le langage nous propose une description du réel, comme une collection de choses dans l'espace, celles-ci ne sont pas séparées mais en interaction. »
Si je comprends 'bien', il n'y a pas de 'choses', mais celles-ci sont 'en interaction' quand même...? Au fait, qu'est ce que c'est, une c-h-o-s-e ?

118/122 « Rappelez-vous que le monde extensionnel est le monde non-verbal. »
Et réciproquement, sans doute ?

128/132 « Il n'y a pas une affirmation qui soit toujours vraie. »
Quid de celle-ci ?

130/134 « Qu'est-ce qu'une image de soi ? C'est l'ensemble des idées que nous avons sur nous-mêmes sur le plan physique et mental. »
Voici un festival de S.G. en deux phrases.

132/136 « Ecrivez sur une feuille de papier une liste d'affirmations vous concernant... rédigée à la première personne du singulier: je suis... »
J'imagine qu'un peu de pratique de la S.G. doit singulièrement raccourcir la liste en question, non ?

140/144 « Bien gérer... consistera à utiliser des modèles au bon niveau d'abstraction »
LE bon niveau d'abstraction ! A vue de nez, un seul suffit.

141/145 « Car, ne l'oubliez pas, notre système nerveux est incapable de faire la différence entre la réalité et ce qu'il croit être la réalité »
Que peut bien vouloir signifier l'auteur ?

151/155 « Dans le langage courant, il est facile de prendre l'habitude d'utiliser les verbes : sembler, paraître, appartenir, etc. »
Pourquoi ne pas l'avoir fait dans le livre?

153/157 « Un des maux sémantiques apporté par 'être' est qu'il tente l'homme dans des jugements de valeur erronés. »
Bien joué utiliser le verbe 'être' dans une phrase qui l'accuse !

155/159 « Pour nous résumer, c'est ... »
Admirable, après ce qui vient d'être dit !

155/159 « mots à éviter, mots conseillés »
Je suggère l'étude de la phrase suivante: « rappelez-vous toujours de ne jamais utiliser les mots toujours et jamais. ».

163/167 « Si la sémantique générale ne traite pas d'épistémologie, elle prend par contre quelques positions à son sujet. »
Voir page 786 de S&.S: 21 renvois pour le mot epistemology sans compter les pages 323 et 324 !, etc.

171/181 « Abstraction... Propriété de l'organisme de n'être conscient que d'une partie des caractéristiques d'un événement. »
Ca commence bien: 'abstraction' et non 'abstraire' ou 'conscience d'abstraire' (d'après la définition donnée), suivi de 'propriété'. L'auteur ne maîtrise pas le vocabulaire de la S.G ! Les exemples ne valent pas mieux.

172/182 « Autoréflexivité... Propriété du langage... »

172/182 « Circularité de la connaissance... Procédure épistémologique consistant à utiliser des concepts résultant d'abstractions d'ordre élevé, pour expliquer la structure du réel. »
Inimaginable ! voir page 323 et suivantes de S&.S.

172/182 « Définition extensionnelle... Enumération des référents auxquels s'applique la définition. »
Définition intensionnelle de la définition extensionnelle: chapeau!



					Henri Landier