Dolly, Marguerite, et la maîtrise des peurs ancestrales


Claude Danglot

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L'arrivée de Dolly sous les feux des projecteurs en Mars 97 a provoqué une série de réactions enflammées, traduisant bien l'impact de cette brebis 'galeuse' et de sa procréation 'hors du commun' sur l'opinion publique. Les peurs et les passions soulevées se sont traduites, entre autre, par des allusions à Aldous Huxley (Le meilleur des mondes, 1932), des allusions à Hitler (couverture de Der Spiegel, " Der Sündenfall "), à la possibilité de cloner les bébés humains (couverture de Newsweek, " Can we clone humans ? ") voire à la possibilité, enfin offerte, de cloner des lecteurs de Time (Couverture de Time, " Will there ever be another you ? "), Brrr, inquiétant non ? Des lecteurs de Time !

En Mars 98 à l'annonce de l'arrivée de Marguerite dans les étables de l'INRA, les réactions de l'opinion publique ont été beaucoup plus discrètes, voire inexistantes. Il faut dire qu'aujourd'hui le clonage humain est sur le point d'être interdit en France et dans la CEE, et que la majorité de la population semble opposée à ces pratiques scientifiques obligeant tout un chacun à se poser des questions dérangeant des habitudes individuelles de pensée anciennes donc confortables.

Mais qu'est donc le clonage (des mammifères) et que représente-t-il dans notre contexte socio-politique pour être vécu par la majorité d'entre nous comme une menace évidente dirigée contre notre existence et nos libertés ?

Rappelons que des mammifères comme les moutons, les vaches, l'homme proviennent tous d'un oeuf résultant (jusqu'à très récemment) de la fusion d'un ovocyte et d'un spermatozoïde dans des circonstances aussi agréables qu'éprouvées. L'ovule (ou ovocyte) provenant de la mère possède un noyau ne contenant plus que n chromosomes (n=23 chez l'homme) à la suite d'un méiose dite " réductrice " (1 cellule à 2n chromosomes donnant 2 ovules à n chromosomes). La situation est strictement parallèle chez le père dont les très nombreux spermatozoïdes ne contiennent chacun que n chromosomes. Lors de la fécondation, la tête du spermatozoïde, seule, pénètre dans l'ovule avec ses n chromosomes, son flagelle restant à l'extérieur. Les deux noyaux, celui de l'ovule et celui du spermatozoïde, fusionnent alors et l'ancien ovule, avec tout le reste de sa machinerie cellulaire (y compris ses mitochondries impliqués dans la respiration cellulaire), devient un oeuf à 2n chromosomes. C'est réellement le stade 'zéro' d'un individu. Cet oeuf à une cellule va se diviser pour donner un individu à 2, 4, 8, 16 cellules, etc., puis l'adorable bébé joufflu que vous êtes devenu (Ça n'est pas moi qui l'invente, c'est votre maman qui l'a sûrement dit).

Supposons maintenant que l'on prenne l'ovocyte (ovule) d'une brebis, ou d'une vache et que, sous microscope, un manipulateur aspire le noyau de cet ovule à l'aide d'un micro-tube capillaire. Après activation de l'ovocyte énucléé par un choc électrique, l'expérimentateur injecte ensuite, avec un autre tube capillaire, un noyau isolé de cellules de glandes mammaires cultivées in vitro et maintenues en phase G0 (cellules quiescentes, ne se multipliant pas) dans le cas de la brebis Dolly, ou un noyau isolé de cellule musculaire ou de peau de foetus de 50 à 80 jours, dans le cas du veau Marguerite. Comme les cellules " donneuses " contiennent bien 2n chromosomes (comme toutes les cellules somatiques 'normales' de l'individu), le compte est bon et tout à fait égal au nombre de chromosome d'un oeuf 'vrai'. Réimplantons maintenant ce 'faux' oeuf dans l'oviducte tout d'abord, puis un peu plus tard, dans l'utérus d'une " mère porteuse " (je suppose que vous êtes tous familiers de ce 'concept' maintenant très courant). Le phénomène le plus étonnant est que ce 'faux' oeuf va se comporter comme un 'vrai', bien que ses chromosomes dérivent de cellules dites " différenciées " (c.a.d. spécialisées dans leurs fonctions) et l'expérimentateur va récupérer un bébé (brebis, veau ou homme selon l'expérience) dérivant complètement (ou presque, à l'exception des mitochondries) de l'information génétique fournie par les seuls chromosomes des cellules donneuses (Taux de réussite: 5 à 10 % des embryons créés et 1‰ des ovocytes récoltés). Si l'on recommence l'opération un grand nombre de fois (c'est pas grave, c'est avec votre pognon !) on va disposer d'un grand nombre de bébés (jumeaux vrais) complètement identiques d'un point de vue aristotélicien, et remarquablement similaires d'un point de vue non-aristotélicien. Seule différence notable, les mitochondries proviennent du fournisseur d'ovule pas du fournisseur de chromosome. L'ADN mitochondrial sera donc différent entre le (soi-disant) clone et le donneur(se) de chromosomes.

En résumé, comme la vidange d'un moteur tout les 5000 km, ou le découpage d'un gigot au couteau à découper, le clonage 'est' une connaissance-pas une morale ni une éthique-une technique, qu'il est impératif de considérer d'abord comme telle. Les émotions et les idées théoriques c'est vous qui les apportez éventuellement avec vous.

Qu'apporte donc de nouveau cette technique ? Sur le plan théorique de la connaissance, elle permet tout d'abord de confirmer qu'une cellule pleinement différenciée (c'est à dire spécialisée) est tout à fait capable dans un contexte favorable de redonner un individu complet, et que tous les mécanismes de régulation de l'expression génétique des cellules sont entièrement réversibles.

Passons sous silence l'intérêt pour l'agriculture qui est probablement très limité pour le moment (coût exorbitant des clones), et évoquons plutôt l'intérêt médical. Il parait évident que la maîtrise du clonage ouvre la voie à l'étude in vitro de la différenciation tissulaire et de sa régulation. La maîtrise de ces techniques est une condition sine qua non au développement de la culture organotypique qui permettra à partir de quelques cellules prélevées sur un individu d'induire in vitro le développement d'un organe de remplacement parfaitement compatible, comme un rein, de la peau, un coeur. Il est ainsi possible d'entrevoir une solution à long terme au difficile problème des greffes, de leur compatibilité et surtout à celui…des donneurs. Je tiens toutefois à préciser pour tous ceux qui ont pu suivre une émission récente de " La marche du siècle " présentée par Jean-Marie Cavada sur FR3, que la greffe de cerveau n'a aucun intérêt sauf pour les malcomprenants grabataires pour reprendre une expression 'politiquement correcte'. L'utilisation du clonage pour satisfaire des parents stériles en mal d'enfant parait également envisageable, d'autant que dans cette situation les enfants pourraient naître après une grossesse presque 'normale' de leur mère biologique et qu'ils seraient génétiquement les enfants de leurs parents.

Sur le plan éthique, comment donc expliquer qu'une simple connaissance en biologie puisse provoquer des réactions sémantiques aussi violentes et aussi passionnées ?

Une première explication, superficielle, pourrait être que cette technique permet d'atteindre les êtres humains dans ce qu'ils considèrent comme le plus fondamental, leur hérédité, leur patrimoine génétique. Cependant il est clair qu'aujourd'hui, les humains atteints de maladies génétiques ne revendiquent pas particulièrement la pérennité de leurs défauts génétiques. S'en débarrasser par thérapie génique leur conviendrait parfaitement. De la même façon, un malade accepte le plus souvent sans trop de problèmes de se défaire d'une partie malade de lui même pour survivre (membre gangreneux, tumeur, etc.)

Une autre explication, plus profonde dans notre inconscient (excusez cette métaphore géologique), pourrait être que cette technique permet de modifier les paramètres fondamentaux de la reproduction humaine et de la cellule familiale en remettant en cause la notion même de père et de mère. Or si un père et une mère 'nourriciers' sont indispensables à un enfant pour atteindre son plein développement physique et intellectuel, ils ne permettent pas facilement à l'adolescent de s'identifier à eux, comme les parents 'biologiques'. Ce genre de situation peut s'observer chez des enfants adoptés qui adorent leurs parents 'nourriciers', mais qui, arrivés à l'âge adulte se posent de nombreuses questions fantasmatiques concernant leurs parents biologiques.

Certains évoqueront Prométhée, d'autres Dieu, Frankenstein, ou l'apprenti sorcier, d'autres enfin leur morale préférée (souvent la 'Bourgeoise©', celle qui est très permissive pour eux-mêmes mais très stricte pour les autres, un modèle éprouvé par l'usage), d'autres enfin le bon vieux temps (?), mais quoi qu'il en soit, la dimension éthique du clonage, ne dépend pas de la technique elle-même mais de son utilisation dans un contexte socio-culturo-économique donné et il est clair qu'en ces périodes difficiles pour 'l'esprit rationnel', mais fertiles pour l'obscurantisme, le clonage est une cible facile et désignée pour les traditionalistes et intégristes de tout poil.

Il n'en reste pas moins que le clonage est un nouvel outil particulièrement puissant mis à la disposition de l'humanité et qu'il pourrait contribuer, à moyen et à long terme, à des avancées médicales considérables, à condition de réglementer soigneusement et intelligemment son utilisation. Il serait léger et inconsidéré de l'interdire purement et simplement.