Traduction française de José Klingbeil
Société Européenne de Sémantique
Générale
INSTITUTE OF GENERAL SEMANTICS
Englewood, New-Jersey, USA
Il est difficile pour un philosophe de réaliser que vraiment tout le monde enferme son discours dans les limites que je vous ai présentées. La frontière se situe précisément là où celui qui parle commence à s'énerver. (573) A. N. WHITEHEADL'essentiel de ce travail a déjà été présenté sous la forme de conférences devant diverses Universités, Instituts de Technologie, associations d'enseignants et de médecins, et autres organismes scientifiques. Les grandes lignes en ont été exposées pour la première fois au Congrès International de Mathématiques de Toronto en 1924, et publiées en brochure. Un développement ultérieur du système a été présenté devant la Société des Maladies Nerveuses et Mentales de Washington (D.C.) en 1925, puis devant la Société de Psychopathologie de Washington (D.C.) en 1926, et ensuite publié. Une ébauche plus complète a été présentée au Congrès des mathématiciens des pays Slaves de Varsovie, en Pologne, en 1929. Un aspect particulier et novateur du sujet, lié aux réflexes conditionnels de Pavlov, a été exposé dans ses grandes lignes au Premier Congrès d'Hygiène mentale à Washington (D.C.), en 1930. D'autres aspects ont fait l'objet d'un débat devant la Société Américaine de Mathématiques, le 25 Octobre 1930, et la Section Mathématiques de la Société Américaine pour le Progrès de la Science, le 28 Décembre 1931. Ce dernier article est repris dans ce volume, en tant que Supplément III.
C'est sans doute une loi de la nature que tous les critiques ajoutent forcément de nouvelles idioties de leur cru pour remplir le vide créé par l'annihilation du passé. (22) E. T. BELL
Enseigner sans système rend l'apprentissage difficile. Le Talmud
Le profane, l'homme 'avec les pieds sur terre', l'homme de la rue, dit: Qu'est-ce que ça représente pour moi ? La réponse est formelle et de poids. Notre vie dépend entièrement des doctrines établies de l'éthique, de la sociologie, de l'économie politique, du gouvernement, du droit, de la médecine, etc. Tout le monde en est affecté, consciemment ou non, à commencer par l'homme de la rue, parce qu'il est sans défense. (280) A.K.
Quand des orientations nouvelles cessent d'apparaître dans la vie d'un individu, son comportement cesse d'être intelligent. (106) C.E. COGHILL
Fais attention à cette leçon,
Essaie encore;
Si tu ne réussis pas dès la première fois
Essaie encore;
Alors ton courage devrait apparaître,
Car c'est en persévérant
Que tu vaincras, que tu n'auras plus jamais peur
Essaie encore.
WILLIAM EDWARD HICKSON
Les deux analogies suivantes permettront peut-être de mieux mettre en valeur le caractère général de ce travail. Il est bien connu que toute mécanique a besoin d'un lubrifiant pour fonctionner. Sans porter de jugement sur l''époque mécanique' actuelle, il nous faut admettre qu'elle est technologiquement très avancée et que, sans ce progrès, nombre de recherches scientifiques nécessitant des instruments perfectionnés seraient impossibles. Supposons que l'humanité n'ait jamais eu à sa disposition de lubrifiant pur, mais que ceux qui existent aient toujours contenu de l'émeri, dont la présence nous aurait échappé. Dans ces conditions, tous les progrès techniques existants et leurs conséquences seraient impossibles. Aucune machine ne durerait plus de quelques semaines ou quelques mois au lieu d'années, rendant le prix des machines et leur coût d'utilisation complètement prohibitifs. Le progrès technique en aurait été retardé pendant plusieurs siècles. Supposons maintenant que quelqu'un ait découvert un moyen simple d'éliminer l'émeri des lubrifiants; les progrès techniques actuels deviendraient aussitôt possibles, et se réaliseraient progressivement.
Quelque chose de similaire s'est produit dans nos affaires humaines. Nous sommes très avancés techniquement, mais les prémisses élémentalistes qui sous-tendent nos relations humaines n'ont pas du tout changé, pratiquement depuis Aristote. La présente recherche montre qu'un facteur nocif particulier intervient dans le fonctionnement de notre système nerveux, un 'lubrifiant contenant de l'émeri' pour ainsi dire, retardant le développement de relations humaines saines et empêchant une sanité générale. Il s'avère que dans la structure de nos langages, de nos méthodes, de nos 'habitudes de pensée', de nos orientations, etc., nous conservons des facteurs psychopathologiques trompeurs. Ces facteurs ne sont nullement inévitables, comme on le montrera, mais peuvent au contraire être facilement éliminés par un entraînement particulier, d'effet thérapeutique, et ayant en conséquence une valeur préventive éducative. J'appelle identification cet 'émeri' du système nerveux. Celle-ci met en uvre des 'principes' profondément enracinés qui sont invariablement non conformes aux faits; et donc, nos orientations, fondées sur ces principes, ne peuvent mener à l'ajustement et à la sanité.
Une analogie médicale s'impose ici. Nous découvrons un parallèle curieux entre l'identification et les maladies infectieuses. L'Histoire montre que dans des conditions primitives les maladies infectieuses ne peuvent pas être maîtrisées. Elles s'étendent rapidement, tuant parfois plus de la moitié de la population affectée. L'agent infectieux peut être transmis soit directement, soit à travers les rats, les insectes, etc. Grâce aux progrès de la science, nous pouvons maîtriser la maladie, et disposons de plusieurs méthodes préventives importantes, comme l'hygiène, la vaccination, etc.
L'identification apparaît également comme quelque chose d''infectieux', car elle est transmise, directement ou indirectement, des parents et des enseignants aux enfants, par le mécanisme et la structure du langage, par les 'habitudes de pensée' établies et héritées, par les règles d'orientation de vie, etc. Il existe aussi nombre d'hommes et de femmes qui font profession de répandre la maladie. L'identification rend impossible une sanité générale et un ajustement complet. L'entraînement à la non-identité joue un rôle thérapeutique chez les adultes. Le degré de guérison dépend de nombreux facteurs, tels que l'âge de l'individu, la gravité de l''infection', la minutie de l'entraînement à la non-identité, etc. Avec les enfants, celui-ci est extrêmement simple. Il joue le rôle à la fois d'hygiène et de vaccination, aussi simple qu'efficace.
Comme pour les maladies infectieuses, quelques individus bien qu'habitant dans une zone touchée sont, pour une raison ou une autre, immunisés contre cette maladie. D'autres y sont irrémédiablement prédisposés.
Le présent travail est écrit au niveau du profane intelligent moyen, parce qu'avant de pouvoir entraîner des enfants à la non-identité par une éducation préventive, parents et enseignants doivent disposer d'un manuel pour les conseiller eux-mêmes. Je ne prétends pas que l'Age d'Or soit proche, loin de là; mais il semble impératif d'éliminer les facteurs neuropsychologiques rendant une sanité générale impossible.
J'ai placé un grand nombre de citations importantes en épigraphe aux différents chapitres et parties de cet ouvrage. Je l'ai fait pour faire prendre conscience au lecteur de ce que, d'une part, il existe déjà dans l''univers du discours' une quantité de connaissance et de sagesse sérieuses, et que d'autre part, de façon générale, cette sagesse n'est pas appliquée et, dans une large mesure, ne peut l'être tant que nous ne parvenons pas à construire un système simple, fondé sur l'élimination complète des facteurs pathologiques.
Un système, au sens où nous l'entendons ici, décrit un ensemble complexe de doctrines coordonnées dont découlent des règles méthodologiques et des principes de procédure affectant l'orientation de nos actes et de notre vie. Tout système contient un nombre énorme d'hypothèses, de présupposés, etc., qui dans l'ensemble ne sont pas évidentes mais fonctionnent inconsciemment. De ce fait, ils sont extrêmement dangereux parce que, pour peu que certaines de ces suppositions inconscientes ne soient pas conformes aux faits, toute l'orientation ces facteurs trompeurs inconscients gâcheraient notre vie, avec pour corollaire un comportement nuisible et un malajustement. Aucun système n'a jamais été complètement exploré pour ce qui est de ses présupposés inconscients sous-jacents. Tout système s'exprime dans un certain langage, possédant une certaine structure, fondée à son tour sur des présupposés silencieux, et qui en fin de compte reflète et renforce ces présupposés sur et dans le système. Ce rapport est très étroit et nous permet de faire des recherches très poussées sur un système par une analyse structurelle linguistique.
Le système selon lequel aujourd'hui l'Occident
vit, souffre, 'prospère', subit la famine et meurt, n'est
pas au sens strict un système aristotélicien. Aristote
avait bien trop le sens des réalités pour cela.
Il représente toutefois un système formulé
par ceux qui, pendant presque deux mille ans depuis Aristote,
ont maîtrisé notre connaissance et nos méthodes
d'orientation et qui, pour des raisons qui leur sont propres,
n'ont retenu que ce qui semble aujourd'hui le pire d'Aristote
et de Platon. Et, avec des ajouts de leur cru, ils nous ont imposé
ce système composite, puissamment aidés en cela
par la structure du langage et les habitudes psychologiques,
qui nous ont tous affectés depuis les premiers hommes jusqu'à
nos jours, consciemment ou inconsciemment, et ont introduit de
sérieuses difficultés même en science et en
mathématiques.
Nos dirigeants: hommes politiques, 'diplomates',
banquiers, prêtres de toutes sortes, économistes,
hommes de loi, etc., et la majorité des enseignants, restent
de nos jours en grande partie ou entièrement ignorants
de la science moderne, des méthodes scientifiques, des
données structurelles linguistiques et sémantiques
de 1933, et ignorent également l'indispensable cadre historique
et anthropologique, sans lequel une orientation saine est
impossible.1
Cette ignorance est souvent délibérée car
ils refusent pour la plupart, sous des prétextes divers,
de lire les ouvrages modernes traitant de ces problèmes.
Ainsi est créé et entretenu un conflit entre la
progression de la science affectant les conditions de vie réelles,
et les orientations de nos dirigeants, qui sont dépassées
depuis des siècles voire depuis un ou deux millénaires.
Les conditions actuelles du monde sont chaotiques; psychologiquement
il y a un état d'impuissance-désespoir, qui se traduit
souvent par les sentiments d'insécurité, d'amertume,
etc., et nous avons récemment été témoins
de déchaînements psychopathologiques de masse, de
type moyenâgeux. Peu d'entre nous réalisent aujourd'hui
que tant que prévaudra cette ignorance chez nos dirigeants,
aucune solution à nos problèmes humains ne sera
possible.
La question radicalement nouveau dans un système
non-aristotélicien paraît être que, dans une
classe de vie humaine, l'ignorance struturelle et méthodologique
élémentaires sur le monde et sur nous-mêmes
introduit inéluctablement, comme la science nous l'a montré,
des facteurs trompeurs car nul n'est libre d'hypothèses
structurelles conscientes ou inconscientes. Le seul et véritable
problème paraît alors être de savoir si nos
hypothèses structurelles, en 1933, sont des versions primitives
ou de l'an 1933 ? L'ancienne 'vulgarisation scientifique'
n'est pas la solution: elle fait souvent des dégâts.
Le progrès de la science étant essentiellement dû
aux méthodes scientifiques et aux révisions linguistiques,
les nouveaux faits découverts par ces méthodes ne
peuvent être correctement exploités avec des orientations
psychologiques et des langages périmés. Les
utiliser ainsi n'engendre souvent que perplexité et instabilité.
Avant que nous pouvoir nous ajuster aux nouvelles conditions de
vie, principalement créées par la science, il nous
faut en tout premier lieu corriger des méthodes d'orientation
largement dépassées. A partir de là seulement,
nous serons capables de nous ajuster correctement aux faits nouveaux.
Les recherches montrent que les données structurelles
scientifiques de base en 1933 sur le monde et sur nous-mêmes,
sont extrêmement simples, plus simples même que n'importe
quelle fantaisie structurelle des primitifs. Nous avons généralement
assez de bon sens pour prendre chaussure à notre pied,
mais pas assez pour corriger nos vieilles méthodes d'orientation
pour les faire correspondre aux faits. L'élimination des
identifications primitives, facilement réalisée
dès que nous y travaillons sérieusement, provoque
le nécessaire changement psychologique vers la sanité.
La 'nature humaine' n'est pas un produit élémentaliste
de l'hérédité seule, ni de l'environnement
seul, mais représente un résultat final d'organismecommeuntout
très complexe, de l'ensemble enviro-génétique.
Il paraît évident, une fois posé, que pour
une classe de vie humaine, les questions linguistiques, structurelles
et sémantiques représentent des facteurs environnementaux
puissants et incontournables, constituant des composants majeurs
de tous nos problèmes. La 'nature humaine' peut être
changée, à partir du moment où nous savons
comment le faire. L'expérience et l'expérimentation
montrent que 'changer la nature humaine', chose supposée
impossible selon l'élémentalisme verbal, peut être
accompli en quelques mois dans la plupart des cas, à condition
d'attaquer ce problème au moyen de la technique particulière,
non-élémentaliste, neuropsychologique,
de non-identité.
Si l'ignorance et les identifications de nos dirigeants
pouvaient être éliminées, nombre de facteurs
trompeurs, transmis par l'action pédagogique de la famille
et de l'école ou d'autres organismes puissants, cesseraient
de nous être imposés et inculqués, et la révision
de nos systèmes serait encouragée au lieu d'être
entravée. Des solutions efficaces à nos problèmes
apparaîtraient alors spontanément et sous des formes
simples; nos 'chaussures' iraient à nos 'pieds' et nous
pourrions 'marcher dans la vie' confortablement au lieu d'endurer
les souffrances actuelles.
Puisque nos systèmes existants semblent inexploitables
à bien des égards et qu'ils contiennent des facteurs
psychopathologiques essentiellement dus à certains présupposés
du système aristotélicien, mais aussi par souci
de brièveté, j'appelle 'aristotélicien' l'ensemble
du complexe systémique en cours. J'appelle 'non-aristotélicien'
le système moderne et nouveau, présenté dans
ses grandes lignes, bâti après le rejet des facteurs
trompeurs. Pour éviter les malentendus, je tiens à
reconnaître explicitement ici ma profonde admiration pour
l'extraordinaire génie d'Aristote, surtout par rapport
à son époque. Néanmoins, la déformation
de son système et l'immuabilité imposée de
ce système déformé, tel que les ont fait
respecter les groupes au pouvoir pendant pratiquement deux mille
ans, souvent sous peine de torture et de mort, ont conduit et
ne peuvent que conduire à davantage de désastres.
D'après ce que nous savons d'Aristote, il fait peu de doute
que, s'il était vivant, il tolérerait de telles
déformations, ni l'immuabilité artificielle du système
qu'on lui attribue habituellement.
Le rapport entre l'étude de la psychiatrie
et celle des mathématiques et de leurs fondements est très
instructif. Dans le développement de la civilisation et
de la science nous constatons que certaines disciplines, par exemple
cette très jeune science qu'est la psychiatrie, ont rapidement
progressé. D'autres disciplines comme les mathématiques,
la physique, etc., ont progressé lentement jusqu'à
une période récente, principalement du fait de certains
dogmes et préjugés. Récemment, certains de
ces préjugés ont été éliminés
et, depuis lors, le progrès de ces sciences est devenu
extrêmement rapide. Néanmoins, d'autres disciplines
comme la 'psychologie', la 'philosophie' traditionnelle, la sociologie,
l'économie politique, l'éthique, etc., ont très
peu développé leurs principes depuis presque deux
mille ans, en dépit d'une profusion de données nouvelles
amassées.
Beaucoup de raisons sont responsables de ce curieux
état de choses, mais je n'en proposerai que trois, par
ordre d'importance. (1) Tout d'abord, ces dernières disciplines,
à développement lent, sont les plus proches de nous
les hommes, et un homme primitif ou une personne complètement
ignorante 'sait tout à propos' des plus complexes problèmes
qui soient. Cette tendance générale à 'tout
savoir' crée un ensemble linguistique, psychologique,
environnemental, etc., plein d'identifications, produisant dogmes,
préjugés, malentendus, peurs, et autres choses,
rendant une approche scientifique impartiale et impersonnelle
pratiquement impossible. (2) Peu d'entre nous se rendent compte
des incroyables pièges, certains de caractère psychopathologique,
que nous tend la structure de notre langage courant. Cela aussi
rend impossible toute approche scientifique ou tout accord sur
les points essentiels. Nous tâtonnons de façon animaliste
par essais et erreurs et par d'aussi animalistes conflits, guerres,
révolutions, etc. Ces deux premiers points s'appliquent
pratiquement à nous tous et introduisent de grandes difficultés,
même en mathématiques. (3) L'une des principales
raisons de la progression si rapide qu'a connue la psychiatrie
en une si courte période, par contraste avec la 'psychologie',
est qu'elle étudie des symptômes relativement distincts
et relativement simples. Mais comme ces symptômes ne sont
pas isolés, et qu'ils représentent des réactions
de l'organismecommeuntout, leur étude
partielle donne des aperçus sur les mécanismes fondamentaux
et généraux. Si nous étudions les mathématiques
et les sciences mathématiques en tant que formes de comportement
humain, nous étudions également des réactions
humaines distinctes et simplifiées, du type 'un et un font
deux', 'deux et un font trois', etc., et nous obtenons là
aussi des aperçus sur des mécanismes généraux.
En psychiatrie nous étudions des réactions psychologiques
simplifiées, sous leur pire forme; en mathématiques
et en sciences mathématiques, nous étudions des
réactions psychologiques simplifiées, sous
leur meilleure forme. Quand les deux types de réactions
sont étudiés conjointement, il s'ensuit des résultats
tout à fait inattendus et de très grande portée,
affectant profondément chaque phase connue de la vie et
de l'activité humaine, science y compris. Les résultats
d'études aussi nettement séparées ne s'opposent
pas mais se complètent mutuellement, élucidant très
clairement un mécanisme général opérant
en nous tous. D'une façon tout à fait imprévue,
les études psychiatriques nous aident à résoudre
des paradoxes mathématiques; et les études mathématiques
nous aident à résoudre de très importants
problèmes en psychothérapie et dans la prévention
de troubles psychologiques.
L'histoire montre que le progrès de la science
et de la civilisation implique d'abord une accumulation d'observations;
puis, une formulation préliminaire de quelque sortes de
'principes' (impliquant toujours des hypothèses inconscientes);
et enfin, lorsque le nombre d'observations augmente, cela conduit
à la révision, et le plus souvent au rejet, des
'principes' non conformes aux faits, dont on s'aperçoit
finalement qu'ils ne représentent que des postulats. A
cause du caractère cumulatif et non-élémentaliste
de la connaissance humain, une simple mise en question d'un 'principe'
ne nous mène pas loin. Pour obtenir un résultat,
les hypothèses sous-tendant un système doivent être:
(1) découvertes, (2) testées, (3) éventuellement
mises en question, (4) finalement rejetées, et (5), il
faut construire un système débarrassé
des postulats éventuellement contestables.
De tels exemples abondent dans tous les domaines,
mais l'histoire des systèmes non-newtoniens et non-euclidiens
fournit les illustrations les plus simples et les plus immédiates.
Ainsi, le cinquième postulat d'Euclide n'était pas
satisfaisant même pour ses contemporains, mais ces mises
en question n'ont eu aucun effet pendant plus de deux mille ans.
Ce n'est qu'au dix-neuvième siècle que le cinquième
postulat a été éliminé et que les
systèmes non-euclidiens ont été construits
sans y faire appel. L'apparition de tels systèmes a marqué
une profonde révolution dans les orientations humaines.
Au vingtième siècle les 'principes' beaucoup plus
importants sous-tendant nos notions sur le monde physique, comme
la 'simultanéité absolue', la 'continuité'
des processus atomiques, la 'certitude' de nos expériences
et de nos conclusions, etc., ont été mis en question,
et des systèmes ont alors été construits
sans y faire appel. A la suite de quoi nous avons maintenant la
magnifique physique non-newtonienne et ses conceptions du monde,
fondées sur l'uvre d'Einstein et des pionniers des
quanta.
Enfin, pour la première fois dans notre histoire,
quelques-uns des 'principes' les plus importants de tous les principes,
dans le 'monde mental' cette fois, ont été contestés
par les mathématiciens. Par exemple la validité
universelle de ce qu'on appelle 'loi logique du tiers exclu' a
été mise en question. Malheureusement, à
ce jour, aucun système à part entière fondé
sur cette remise en question n'a été formulé,
et cela est donc resté en grande partie inopérant,
bien que les possibilités de certaines 'logiques' non-aristotéliciennes,
quoiqu'élémentalistes et laissant à désirer,
en soient rendues évidentes.
Des recherches supplémentaires ont révélé
que la généralité de la 'loi du tiers
exclu' n'est pas un postulat indépendant, mais qu'elle
est seulement une conséquence élémentaliste
d'un principe d''identité' plus profond et invariablement
non conforme aux faits, souvent inconscient et en conséquence
particulièrement pernicieux. L'identité est définie
comme 'la ressemblance absolue à tous les égards',
et c'est ce 'tous' qui rend l'identité impossible. Si nous
éliminons ce 'tous' de la définition, alors le terme
'absolue' perd son sens, nous avons une 'ressemblance à
certains égards', mais nous n'avons pas 'identité',
seulement 'similitude', 'équivalence', 'égalité',
etc. Si nous prenons en compte que tout ce dont nous traitons
représente des processus corrélés sub-microscopiques
en changement constant, qui ne sont pas et ne peuvent être
'identiques à eux-mêmes', l'ancien prédicat
'toute chose est identique à elle-même' devient,
en 1933, un principe invariablement non conforme aux faits.
On peut dire, 'D'accord, mais pourquoi en faire toute
une histoire ?' Ma réponse serait: 'L'identification se
retrouve chez tous les peuples primitifs connus, dans toutes les
formes connues de maladies mentales et dans la grande
majorité des malajustements internationaux, nationaux et
personnels. Il est donc important d'éliminer de nos systèmes
prédominants un facteur aussi nuisible.' Il est sûr
que personne ne voudrait contaminer son enfant par un germe dangereux,
à partir de l'instant ou l'on sait que le facteur en question
est dangereux. De plus, les conséquences d'une élimination
complète de l'identité sont d'une si grande portée
et si bénéfiques pour la vie courante de chacun,
et à la science,2 qu'une telle 'histoire' est
non seulement est justifiée, mais devient une des tâches
principales que nous ayons à faire. Quiconque étudiera
le présent ouvrage sera aisément convaincu, par
des observations des difficultés de l'homme dans la vie
et en science, que la majorité de celles-ci proviennent
d'évaluations nécessairement fausses, conséquences
des identifications non conformes aux faits inconscientes.
Le présent travail formule donc un système,
appelé non-aristotélicien, qui se fonde sur le rejet
complet de l'identité et de ses dérivés,
et montre quels facteurs structurels de sanité, très
simples mais néanmoins puissants, peuvent être trouvés
dans la science. Le développement expérimental de
la science et de la civilisation implique invariablement des distinctions
de plus en plus fines. Chaque raffinement signifie l'élimination,
quelque part, de certaines identifications mais il en reste encore
de nombreuses sous une forme partielle et principalement inconsciente.
Le système non-aristotélicien formule le problème
général de la non-identité, et fournit des
moyens non-élementalistes d'une simplicité enfantine
pour une élimination complète et consciente de l'identification
et d'autres facteurs trompeurs ou psychopathologiques de tous
les domaines connus de la recherche humaine, en science, en éducation,
et dans toutes les phases connues de la vie internationale, nationale
et individuelle. Ce travail, et son application à l'éducation
et à la psychothérapie, a été expérimenté
pendant plus de six ans.
Le volume se divise en trois grandes parties. Le
Livre I présente une étude générale
des facteurs structurels non-aristotéliciens découverts
par la science, qui sont essentiels dans un manuel. Seules ont
été retenues, interprétées et évaluées
les données nécessaires à une maîtrise
complète du système. Le Livre II présente
une introduction générale aux systèmes non-aristotéliciens
et à la sémantique générale, exempte
d'identité, et fournit une technique d'élimination
des facteurs trompeurs de nos réactions psychologiques.
Le Livre III présente des données structurelles
supplémentaires sur les langages, ainsi que les grandes
lignes des caractéristiques structurelles essentielles
du monde empirique, mais seulement celles qui sont pertinentes
pour l'entraînement à la discipline non-aristotélicienne.
A la fin de chaque citation placée en épigraphe
de chaque partie et chapitre, le nombre entre parenthèses
indique le numéro du livre dans la bibliographie dont la
citation est extraite.
J'ai tenté d'éviter au maximum les
notes de bas de page. Les petits nombres après certains
mots du texte renvoient aux notes p. 763 ss., où sont données
les références à la bibliographie.
Le Livre II se suffit à lui-même, et
peut donc être lu indépendamment des autres, après
que le lecteur se sera familiarisé avec le tableau des
abréviations pages 15 et 16 et les Chapitres II et IV.
Mais je crois néanmoins que pour obtenir les meilleurs
résultats, le livre doit être lu d'un bout à
l'autre sans s'arrêter sur les passages qui ne sont pas
tout à fait clairs au premier abord, et lu au moins deux
fois. A la deuxième lecture, les passages qui n'étaient
pas clairs la première fois deviendront évidents,
parce que dans un système aussi vaste, le début
présuppose la fin et vice versa.
La découverte de facteurs trompeurs tout à
fait généraux et aussi importants dans les systèmes
plus anciens conduit à une révision de grande portée
de toutes les disciplines existantes. A cause des complexités
modernes de la connaissance, cette révision ne peut être
accomplie que par les activités de spécialistes
travaillant ensemble dans un groupe et unifiée par un principe
de non-identité, qui nécessite un traitement structurel.
Pour répondre à ce besoin particulièrement
urgent, et pour présenter les résultats de ce travail
au public à des prix raisonnables, les éditions
Bibliothèque Internationale Non-aristotélicienne
ont été fondées, dont les livres seront imprimés
et diffusés par Science Press Printing C°, Lancaster,
en Pennsylvanie, U.S.A., et Grand Central Terminal, New York.
Il est également prévu de créer
une Société internationale non-aristotélicienne,
avec des agences en relation avec toutes les établissements
d'enseignement dans le monde, où un travail de coopération
scientifique pour l'élimination de l'identité pourra
être entrepris, puisque ce travail est au delà des
capacités d'un seul homme, quel qu'il soit.
Puisque la Bibliothèque et les Sociétés
ont une portée internationale, j'ai adopté, pour
l'essentiel, l'orthographe et la grammaire d'Oxford, qui sont
un heureux compromis entre l'Anglais des Etats-Unis et celui du
reste du monde. Dans certains cas j'ai dû utiliser quelques
formes d'expression pas tout à fait habituelles, mais ces
légers écarts m'ont été imposés
par le caractère du sujet, le besoin de clarté,
et la nécessité de prudence dans les généralisations.
La révision du manuscrit et la lecture des épreuves
en relation avec d'autres fonctions de publication et d'édition,
a représenté une tâche très lourde
pour un seul homme et j'espère seulement ne pas avoir laissé
passer un trop grand nombre d'erreurs. Les corrections et suggestions
des lecteurs sont bienvenues.
La Bibliothèque Internationale Non-aristotélicienne
est une entreprise scientifique, à but non lucratif, et
l'intérêt et l'aide des chercheurs, des enseignants,
et de ceux qui ne sont pas indifférents au progrès
de la science, de la civilisation, de la sanité, de la
paix, ni à l'amélioration des conditions internationales,
économiques, sociales, etc., seront vivement appréciés.
D'un certain point de vue, cette recherche a été
menée de façon indépendante; d'un autre,
beaucoup d'éléments y ont été adaptés.
Dans certains cas, il est impossible d'en créditer un auteur
spécifique, surtout dans un manuel, et il est plus simple
et plus juste de déclarer que les travaux des Professeurs
H. F. Biggs, G. Birtwistle, E. Bleuler, R. Bonola, M. Born, P.
W. Bridgman, E. Cassirer, C. M. Child, A. S. Eddington, A Einstein,
A. Haas, H. Head, L. V. Heilbrunn, C. J. Herrick, S. E. Jelliffe,
C. J. Keyser, C. I. Lewis, J. Loeb, H. Minkowski, W. F. Osgood,
H. Piéron, G. Y. Rainich, B. Russell, C. S. Sherrington,
L. Silberstein, A. Sommerfeld, E. H. Starling, A. V. Vasiliev,
H. Weyl, W. A. White, A. N. Whitehead, E. B. Wilson, L. Wittgenstein
et J. W. Young, ont été constamment consultés.
Bien que j'ai n'aie pas eu l'occasion d'utiliser
directement les recherches fondamentales du Docteur Henry Head
sur l'aphasie, et en particulier sur l'aphasie sémantique,
l'ensemble de mon travail a été fortement influencé
par ses formidables contributions. Le travail du Docteur Head,
en rapport avec une analyse non-élémentaliste, rend
évidente l'étroite connexion entre (1) l'identification;
(2) l'ignorance structurelle; (3) l'absence d'évaluations
appropriées en général, et de la pleine compréhension
des mots et des phrases en particulier; et (4) les lésions
nécessaires correspondantes, au moins colloïdales,
du système nerveux.
Je suis profondément obligé envers
les Professeurs E. T. Bell, P. W. Bridgman, C. M. Child, B. F.
Dostal, M. H. Fischer, R. R. Gates (Londres), C. Judson Herrick,
H. S. Jennings, R. J. Kennedy, R. S. Lillie, B. Malinowki (Londres),
R. Pearl, G. Y. Rainich, Bertrand Russell (Londres), M. Tramer
(Berne), W. M. Wheeler, H. B. Williams, W. H. Wilmer; et aux Docteurs:
C. B. Bridges, D. G. Fairchild, W. H. Gant, P. S. Graven, E. L.
Hardy, J. A. P. Millet, P. Weiss, W. A. White, M. C. K. Ogden
(Londres), et Mademoiselle C. L. Williams, pour avoir lu le manuscrit
et/ou les épreuves, en totalité ou en partie, et
pour leurs inestimables critiques et suggestions.
Je dois beaucoup également au Docteur C. B.
Bridges et au Professeur W. M. Wheeler, non seulement pour leurs
importantes critiques et suggestions constructives, mais aussi
pour leurs corrections rédactionnelles soigneuses et pour
leur intérêt.
Inutile de dire que j'assume l'entière responsabilité
de ces pages qui suivent, d'autant plus que je n'ai pas toujours
suivi les suggestions qui ont été faites.
Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance
au Docteur W. A. White et au personnel de l'Hôpital Sainte
Elisabeth à Washington, D.C. qui pendant mes deux années
d'études à l'hôpital, m'ont apporté
toute l'aide possible pour y faciliter mes recherches. Je suis
redevable au Docteur P. S. Graven de m'avoir fourni son matériel
clinique expérimental inédit, qui m'a été
fort utile.
Trois termes importants m'ont été suggérés:
'enviro-genetic' [enviro-génétique] par le Docteur
C. B. Bridges, 'actional' [actionnel] par le Professeur P. W.
Bridgman, et 'un-sane' [non-sain] par le Docteur P. S. Graven,
dette que je leur reconnais très volontiers.
Je suis aussi profondément reconnaissant au
Professeur R. D. Carmichael d'avoir écrit le Supplément
I sur la Théorie d'Einstein pour cet ouvrage, et au Docteur
P. Weiss de son aimable autorisation de republier, comme Supplément
II, son article sur la Théorie des Types.
J'apprécie beaucoup l'amabilité des
auteurs qui m'ont donné la permission d'utiliser leurs
travaux.
Pendant mes douze années de recherches sur
ce sujet et de préparation de ce livre, j'ai été
assisté par beaucoup de personnes, à qui je veux
exprimer ma gratitude. J'ai une gratitude particulière
envers ma secrétaire, Mademoiselle Lily E. MaDan qui, outre
son travail normal, a fait les dessins pour le livre; à
Mademoiselle Eunice E. Winters pour son aide sérieuse à
la lecture des épreuves et à la compilation de la
bibliographie; et à M. Harvey W. Culp pour la difficile
lecture des épreuves de la partie physico-mathématique
et la tout aussi difficile préparation de l'index.
L'efficacité technique dans toutes les services
de Science Press Printing Company, et la coopération courtoise
et zélée de ses typographes et de son personnel
administratif, ont considérablement facilité la
publication de ce livre, et c'est un agréable devoir pour
moi de les inclure dans mes remerciements.
Ma plus grande dette est envers ma femme, Mira Edgerly.
Ce travail a été difficile, très ardu et
souvent ingrat, obligeant à renoncer à une existence
d'êtres humains 'normaux', et nous avons sacrifié
une grande partie de ce qui est supposé faire que 'la vie
vaut d'être vécue'. Sans son support constant et
sans réserve et ses encouragements sans relâche,
je n'aurais jamais formulé le présent système,
ni écrit le livre qui l'expose. Si ce livre s'avère
avoir quelque valeur, c'est en fait Mira Edgerly, plus que l'auteur,
qui mérite d'en être remercié. Sans son intérêt,
aucun système non-aristotélicien, aucune théorie
de la sanité n'autait été produits en 1933.
A. K.
NEW YORK,
AOÛT, 1933.
2 Tandis que je corrigeais les épreuves de cette
Préface, j'ai lu une dépêche de presse du Science Service
en provenance de Londres, indiquant que le Professeur Max Born, en appliquant
les méthodes non-élémentalistes d'Einstein, a réussi
à apporter une contribution majeure à la formulation d'une
théorie du champ unifié incluant maintenant la mécanique
quantique. Si cette information était confirmée dans ses aspects
scientifiques, notre compréhension de la structure de la 'matière',
de l''électron', etc., en serait grandement avancée et cela
entraînerait bien sûr des applications pratiques particulièrement
importantes. Pour les aspects sémantiques de ces problèmes, voir pp.
378, 386 n., 541, 667, 698-701, et le Chapitre XXXIX.
1 Sur ces sujets, la littérature est très vaste, et il
est impossible de la présenter ici, ni dans ma bibliographie; cependant je peux
suggérer en guise d'introduction les références numéro 299,
334, 492, 558 et 589 de ma bibliographie. Ces ouvrages fournissent à
leur tour d'autres références.